Mai 052013
 

COMPRENDRE LE CHANGEMENT :
Le salarié dans son entreprise,
un inventeur de manières de faire

Article complémentaire au dossier sur le changement personnel, deuxième partie (#2.1).

Changement personnel - Photo Certeau

Michel de Certeau, dans la première partie de « L’invention du quotidien », entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »(1)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.XXXV

 

Ce que propose de Certeau

Ce que propose de CERTEAU

Ce que propose Certeau, c’est « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus »(2)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XL qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système »(3)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XXXVIII, « subvertissent » les productions ou les représentations imposées par une contingence.

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierNous allons donc nous attacher a découvrir les types de logiques spécifiques exercées au sein d’une organisation et les ruses anonymes, les habiletés « inventées » au coup par coup dans les interrelations : les  TACTIQUES.

« J’appelle tactique l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. […] La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit- elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. Dossier Changement Définition ISRIElle n’a pas le moyen de se tenir en elle même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi », comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant. […] En somme, c’est un art du faible. »(4)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60,61

Par suite, nous prendrons appui sur les concepts d’usages, de stratégies et de tactiques de Certeau.

Nous nous intéressons à ces concepts parce-qu’ils permettent d’aborder le phénomène de changement dans les différentes situations comme une inventivité incessante de certains salariés, par exemple. Cette inventivité, plus ou moins inconsciente, devrait nous mener au cœur même des raisons des changements parce-qu’elle est susceptible d’autoriser des « arts de faire » dans les relations, les rendant dynamiques relationnelles.

Pour exemple faisons une analogie, les pratiques de « bricolage » qui relèvent des nouvelles technologies produisent une écriture particulière favorisant une lecture rapide, signalétique et une mise en page dont la typographie est image.

Cette écriture particulière produit à son tour une lecture particulière qui fonctionne comme un espace ouvert à l’inventivité. Donc, un « propre » de modèles et de relations.
Cette écriture particulière semble, par là, traiter de la dimension sociale dans lequel se trouve inscrite une pratique symbolique (un graphisme) qui structure la fabrication d’un sens (une intention, un imaginaire ou à une représentation des normes) et la met en valeur.

Selon Certeau, ce « propre » est le préalable à l’élaboration d’une stratégie(5)« le calcul des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d’un « environnement ». Elle postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations avec une extériorité distincte. » (Certeau, M., L’invention…, ib. p.XLVI).. Il a montré comment il y a un « geste » qui distingue un lieu autonome, un « propre », qui permet de capitaliser les avantages acquis et de préparer des expansions futures : « l’enfant gribouille encore et tache son livre d’école ; même s’il est puni de ce crime, il se fait un espace. »(6)Certeau, M., L’invention…, ib., p.53

Il implique donc un contrôle du lieu par le biais d’une « pratique panoptique »(7)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60 qui permet de le contrôler en le transformant.
Le lieu circonscrit comme un « propre » sert alors de base pour gérer des relations, une communication et fixer des stratégies qui les transforment en espaces lisibles. Par exemple, « l’acte de dire est un usage de la langue et une opération sur elle. »(8)Certeau, M., L’invention…, ib., p.56

A retenir ISRILa tactique s’inscrit dans le lieu de l’autre(9)« La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.60).. Ce qui nous permet de regarder les actions du salarié en tant qu’elles sont des tactiques, c’est-à-dire des actions calculées que détermine l’absence d’un « propre », mouvements dans un espace contrôlé par autrui.

C’est un art de jouer des coups, de saisir l’occasion : « [la tactique] fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend. »(10)Certeau, M., L’invention…, ib., p.61 Autrement dit, « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre. »(11)« Le « propre » est une victoire du lieu sur le temps. Au contraire du fait de son non-lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y « saisir au vol » des possibilités de profit. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.XLVI).

Il est remarquable que les termes de « tactique » et de « stratégie », entendus dans le sens certausien, sont antonymes, mais pas véritablement antinomiques : une manière d’agir pour atteindre un objectif, pour l’un, une connaissance portant sur les différentes manières d’agir, c’est-à-dire un « art de combiner et de coordonner diverses actions pour atteindre un but »(12)Dictionnaire Robert, Micro Poche, tome II, 1986, pour l’autre.

D’un point de vue individuel, l’usage de ces pratiques serait alors un art d’être et de faire circonstanciel, une tactique conduisant l’individu dans une autodidaxie dont on devine le rapport au monde et à soi propice aux changements.

Elle serait avant tout une construction de détours et contours, toujours substitution de règles de contrainte.

Découvrir cette réinvention du quotidien exercée par le salarié doit permettre de marquer son acculturation, ses innovations et le préparer à son changement.

Autrement dit, repérer et décomposer les stratégies ou les tactiques adoptées par les salariés devrait nous permettre de comprendre le phénomène de changement aussi bien au travers de son identité personnelle que de son identité sociale prise au jeu des interactions avec l’organisation (le service, l’équipe…).

En même temps et en poussant ce raisonnement, cela nous permet lors de nos prestations de dégager trois points :

  • l’expression de sa personnalité,
  • son image du micro-groupe (nous traduisons : le lieu symbolique où il veut s’installer) et
  • son acculturation qui s’accompagne d’actions symboliques (usages, jeux, ruses, tactiques par des potentiels d’imagination et de créativité) destinées à consacrer son changement.

La variété des changements constatés enrichit, dès lors, notre compréhension du phénomène. L’examen des transformations, des changements qui affectent tour à tour les valeurs, les conduites et les systèmes de pensée permettent ainsi la description des conditions de leur apparition, leur fonctionnement et leur éventuelle disparition.

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Prestation - Supervision ISRIA partir des thèmes abordées dans les recherche de M. de Certeau, nous avons souvent demandé sur le terrain que chacun explicite ce que lui procure sa participation dans son micro-groupe (son équipe, son bureau, son service, son centre, son agence…). Ces perceptions nous ont permis d’identifier des comportements divergents.

La diversité de ces divergences, à leur tour, nous a permis d’envisager un classement. Ainsi, nous avons considéré trois catégories de salariés qui correspondent à trois grandes manières de décrire la participation :

  • le salarié actif ou « philanthrope »,
  • le salarié passif ou « pharisien-prestige »,
  • le salarié actif-passif et le salarié passif-actif ou « synallagmatique ».

1) Le salarié philanthrope :

Le Philanthrope est rare. Il est celui qui aide les autres bénévolement, fraternellement, spontanément, sans contrepartie, par foi, simplement. C’est un actif au sein de l’organisation. Il a besoin de cette action. On le retrouve syndicaliste, ou actif au Comité d’Entreprise, par exemple.

Mais son attitude n’est pas toujours constante parce qu’elle constitue une contribution ponctuelle à l’organisation. En fait, son comportement altruiste est limitée dans le temps et se repère seulement par bribes, par « coups d’éclats ».

Il se rapproche dans ses attitudes relationnelles à celles du don. Il est d’une relative stabilité familiale et professionnelle.

2) Le salarié pharisien-prestige :

Celui qu’on appellera « le Pharisien-prestige » cherche dans ses relations quelque chose de précis, pas nécessairement la pratique de son métier, mais, plutôt, répondre à un besoin de reconnaissance.

Ce besoin s’appuie sur la nécessité de connaître voire d’appartenir au corps de métier dont la caractéristique principale, pour « celui qui n’en fait pas partie », est l’image du « prestige », pour lui.

Une première réflexion pourrait nous faire le qualifier « sous le nom pudique de consommateur »(13) Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.XXXVI.

En fait, c’est un « passif/passif » dans sa participation au dynamisme général de l’entreprise même si c’est un actif pour lui-même. Il est persuadé de faire quelque chose pour les autres, en fait, il le fait pour lui d’abord : sa mobilisation repose sur la reconnaissance qu’il espère en lien avec sa motivation essentielle qui repose sur la reconnaissance qu’il obtient. Bref, un pharisien. C’est-à-dire « celui qui présente comme conforme à l’intérêt général ce qui est avant tout de son intérêt. »(14)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999 p.7

Il sait ce qu’il veut même s’il ne le formule pas clairement : s’aider lui-même au succès de sa propre démarche de reconnaissance (« pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont(15)« Pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont : Individu-dans-le-monde / Individu-hors-du-monde : « L’individu, s’il est « non social » en principe, en pensée, est social en fait : il vit en société, « dans le monde ». En contraste, le renonçant indien (Indes) devient indépendant, autonome, un individu, en quittant la société proprement dite, c’est un « individu-hors-du-monde » ». Dumont Louis, Homo aequalis, 1976.), et peut facilement quitter l’entreprise lorsque sa demande est satisfaite. Oui, oui, vous lisez bien, lorsque sa demande de reconnaissance est satisfaite !

3) Le salarié synallagmatique :

C’est le type de salarié le plus fréquemment rencontré dans nos prestations (7 fois sur 10). Il « marche au donnant-donnant ». L’entraide mutuelle, lui, il connaît ! Il donne avec toujours le secret espoir d’un retour : « Je donne si tu m’as déjà donné ou si je suis quasiment sûr que tu me rendras ». Il s’agit là d’une attitude synallagmatique. C’est la raison pour laquelle nous lui avons attribué ce nom.

Il semblerait qu’il cherche à répondre à un besoin de relations qui s’appuie sur celui d’appartenance à un groupe qui le reconnaît. Il y parvient à communiquer, échanger, partager, développer des projets avec les autres par système « d’ancrage » et de « mobilisation ».

On distinguera deux profils de Synallagmatique :

le « Synallagmatique passif-actif » que nous appellerons « Synallagmatique-copain »(16) Forme de l’ancien français compain, « avec qui on partage le pain ». C’est un camarade que l’on aime bien. (Dictionnaire usuel du français, Hachette, 1989). Sachant qu’un camarade est une personne avec qui on partage certaines occupations et qui de ce fait devient familière. Le Larousse de poche de 1978 nous dit : « Compagnon de travail, d’étude, de chambre » et le Quillet de 1971 « Celui qui vit familièrement avec un autre ». Il échange en s’arrangeant de prendre plus que ce qu’il est prêt à donner. Il peut exprimer ce qu’il voudrait faire pour les autres mais avancera des excuses pour ne pas les faire. Il est, dans l’idée, relativement proche du Pharisien-prestige.

le « Synallagmatique actif-passif » ou « Synallagmatique-ami« . Un ami n’est-il pas une personne avec qui l’on a des affinités, proche, intime ? « Qui a de l’attachement pour » nous dit le Quillet de 1971.

C’est un sentiment partagé, réciproque. Lacordaire (Henri-Dominique, abbé) ne disait-il pas : « L’amitié est le plus parfait des sentiments de l’homme parce-qu’il est le plus libre, le plus pur et le plus profond » ? Et Montaigne à propos de la Boétie : « Si on me presse à dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en disant : « Parce-que c’était lui, parce-que c’était moi » » ?

Le Synallagmatique-ami échange en donnant plus qu’il ne prend. Il exprimera ce qu’il fait réellement pour les autres mais gardera à l’esprit ce « retour des choses » qui équilibre ses rapports. Ceci dit, les comportements et les attitudes du Synallagmatique-ami tendent à se rapprocher de ceux du Philanthrope.

En résumé, un tableau


Type de salarié


Actif


Passif


Actif

 


Philanthrope

(cherche à aider bénévolement)


Synallagmatique copain

(échange en prenant +)


Passif

 


Synallagmatique ami
(échange en donnant +)


Pharisien-prestige

(cherche à prendre)

Tableau récapitulatif des trois figures du salarié

La lecture de ce tableau nous conduit à poser de nouvelles questions dont les réponses pourraient déterminer un nouveau paramètre : le niveau d’engagement du salarié par rapport à son ancienneté.

En l’incluant dans l’analyse, il permettrait au responsable du changement de définir avec plus de précision encore la définition des trois catégories types de salarié, d’une part, et indiquerait les fluctuations de l’environnement de l’organisation, d’autre part.

Autrement dit, la question à se poser serait : y aurait-il une évolution entre les diverses attitudes perçues : Pharisien-prestige puis Synallagmatique (copain puis ami) puis Philanthrope ? Si oui, quel en est le facteur ? Y aurait-il une durée au terme de laquelle le salarié prendrait la décision, consciente ou pas, de s’engager plus ou de quitter l’association ?

Nous entendons par « évolution de l’engagement » des phases successives par laquelle passe le salarié avant d’atteindre de façon utopique « l’engagement total ». Le salarié partirait d’une situation de « consommateur » (le Pharisien-prestige) pour évoluer, dans ses attitudes d’engagements, vers les caractéristiques du Synallagmatique (copain puis ami) puis vers celles du Philanthrope.

Pour répondre à ces questions avec certitude le responsable du changement devra communiquer par entretiens individuels et en groupe avec les salariés. Par expérience terrain, il semble que l’engagement évolue avec l’ancienneté ; parfois elle décroit, souvent elle croit.

L'auteur

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Avr 112013
 

Dossier Changement Caméléon ISRILe changement :
Des organisations à l’individu… et vice versa ! (1re partie)

LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
(1er chapitre)

Que nous soyons un responsable du changement, un salarié ou alors tout simplement un individu, nous retrouvons le changement au cœur de trajectoires et de stratégies n’ayant pas toutes les mêmes causes ni les mêmes réalités. Ainsi, entendons-nous parler de changement personnel, de changement organisationnel, de changement économique, de changement politique, de changement social… les sociétés modernes semblent entraînées dans un tourbillon de « changements » sans cesse croissant. Il n’y a pas lieu d’en être bouleversé, le changement fait partie intégrante de nos vies ! Ce dossier s’adresse à tous ceux qui vivent le changement et à tous ceux qui veulent comprendre le changement.


Liminaire

Rien n’est figé, tout est changeant !

Rappelez-vous la phrase célèbre : « …nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve… ». Héraclite voulait signifier, par là, que tout était en perpétuel changement, en constant mouvement, même notre vie intérieure(1)Pour philosopher un peu, nous pourrions peut-être considérer que le ‘présent’ ne change jamais ?.

Bouddha n’a-t-il pas dit : « Il n’existe rien de plus constant que le changement » ?

Une chose est sûre : le CHANGEMENT est l’un des mots dominant de notre temps ; il s’immisce partout !

Néanmoins, nous réduirons ce thème du changement vers et dans le contexte du travail.

Autrement dit, nous axerons ce dossier uniquement sur le changement organisationnel et sur son corolaire : le changement personnel, pour essayer de jauger le changement personnel DANS le changement organisationnel.

Ainsi, pour commencer, après un essai de définition de l’expression « changement organisationnel » si communément employée, la première partie va en évaluer quelques caractéristiques.

Ensuite, dans une deuxième partie, nous pointerons le changement personnel. Du moins, ce qui permet de changer individuellement, d’accepter les changements constants dans une perspective d’intérêts liés entre soi et l’organisation. Chemin faisant, nous aborderons les émotions, les affects, les valeurs et les références identitaires.

Enfin, la troisième partie de ce dossier, présentera un « petit guide à l’usage du changement » permettant, aux responsables du changement, de conduire et de réussir le changement organisationnel. Ainsi nous nous focaliserons sur les conduites qui sauvent afin de sortir des blocages pour évoluer dans une relation gagnant-gagnant entre soi et l’organisation.

PREMIÈRE PARTIE, PREMIER CHAPITRE

Comme nous venons de le préciser, nous aborderons le changement uniquement sous l’angle organisationnel et personnel. Nous allons commencer par faire un état des lieux tout en nous questionnant, en filigrane, sur le le thème du changement en général. Ceci nous permettra de développer plus facilement les deuxième et troisième parties de ce dossier.

Etat des lieux

LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL

A. Etat des lieux

Le changement est partout présent dans les organisations. Il accompagne l’évolution et les mutations diverses des différentes stratégies, elles-mêmes contraintes par plusieurs forces : nouveaux apprentissages, flexibilité, innovations technologiques, évolutions techniques et matérielles, mouvements dans la hiérarchie, modification d’activités, mutations, fusions, délocalisations, restructurations, réorganisations, investissements, désinvestissements, etc.

Conjointement, les organisations doivent gérer des situations accrues d’instabilité ou de bouleversements de leur environnement : faillite de partenaire, perte ou gain de marchés, mobilité du personnel, migration de commercialisation sur l’Internet, évolution informatique, situation de crise (économique, financière ou sociale)…

Au-delà de l’aspect stratégique des organisations, le changement organisationnel pose aussi la question du point de vue social, particulièrement, sur le plan des relations au travail : quelles sont les contraintes et freins inhibant le changement organisationnel : croyances, incertitudes, concurrence, doutes, procédures inadaptées, etc. ?

Les nombreuses situations de changements organisationnels foisonnants et fluctuants conduisent parfois à des initiatives individuelles et à une collaboration spontanée ou/et volontaire dans les tâches quotidiennes au travail et à tous les niveaux hiérarchiques.

Certaines organisations l’ont bien compris et, de manière acharnée, ce sont lancées à promouvoir cette voie ; avec peu de succès, il faut bien le reconnaître car :
– premièrement, elle est généralement effectuée sans harmonisation, normalisation et formalisation visant à assurer, à la fois, le partage des informations et le « partage du sens » (nous reviendrons sur le sens dans la deuxième partie de ce dossier), et,

– deuxièmement, la démarche de l’organisation est beaucoup trop connotée du sentiment qu’elle vise son seul intérêt au complet détriment de celui des salariés.
Il en va ainsi des groupes de travail, de la réduction des niveaux hiérarchiques, techniques de motivations et training divers effectués par les organisations et imposés par les organisations : « mon patron me paie un week-end dans un château pour que je sois plus productif ».

Définition

B. Définition du changement organisationnel

Même si nous avons parfaitement conscience du caractère non exhaustif d’une définition du changement organisationnel (il existe d’ailleurs de nombreuses définitions), tenter de le définir suppose de dépasser les lieux communs.

Avez-vous remarquez lorsque vous demandiez à quelqu’un « qu’est-ce que le changement organisationnel ? », la réponse était invariablement la même : « un changement dans l’organisation ! ».

Vous en conviendrez aisément, cette réponse est largement insatisfaisante car, non seulement trop vague, elle reste totalement muette sur ce que vise le changement, qui en profite et surtout : qu’est-il, intrinsèquement ?

Par ailleurs, si vous appelez les auteurs dans le champ du management pour définir le changement organisationnel, nous retrouvons systématiquement une idée de STRATÉGIE pour évoluer, progresser, se transformer, atteindre des objectifs… se traduisant concrètement par des actions ou des procédures sur une période déterminée.

Du côté de la sociologie, le changement organisationnel est un double apprentissage indissociable pour les personnes impliquées ; celui de nouvelles manières de faire (travail) et de nouvelles manières de coopérer (relations).

La psychosociologie s’appuie sur la physique pour expliquer le changement organisationnel. En effet s’il s’agit « d’un passage d’un état A à un état B ». Ce qui signifie qu’il implique un PROCESSUS DYNAMIQUE d’émergence (de l’état B), parfois turbulents, qu’il paraît profondément intéressant d’examiner.

Dossier Changement Définition ISRIAllez, allons-y, risquons-nous à une définition :

Qu’est-ce que le changement organisationnel ?

« Le changement organisationnel est un concept de gestion couvrant un ensemble de mutations dynamiques internes, subies ou désirées par les parties concernées, permettant le passage d’un état présent à un état convoité considéré comme plus approprié. »

Cette définition s’attache à mettre en exergue cet aspect de « mutations dynamiques » qu’il nous paraît le plus important à examiner dans nos interventions ISRI sur le terrain.

Repères du changement organisationnel

Repères du changement organisationnel

1) Différentes approches

Curieusement, les différentes approches du changement organisationnel se rejoignent dans la vision d’une opération mécanique qui vise à planifier, à anticiper dans une démarche globale et collective faisant l’objet d’un apprentissage et d’une institutionnalisation.

Il va sans dire que le décalage avec la réalité du terrain est important car ces approches ne considèrent pas les urgences, les applications de recettes, les décisions décrétées, etc.
Dossier Changement ISRI V. de Gaulejac Dossier Changement ISRIC. DejoursLes travaux critiques de Vincent de Gaulejac et Christophe Dejours (nos photos) insistent sur les effets pervers du changement permanent : démotivation, épuisement professionnel (burn out), stress, précarisation…

Dossier Changement ISRI K. LewinAlors que Kurt Lewin (1890-1947 – notre photo), pionnier de la psychologie sociale et de la dynamique des groupes avait déduit de ses expériences, dès 1944, que tout changement doit être porté par l’ensemble des parties prenantes et agir sur des normes partagées.

Dans les années 50, les travaux du Tavistock Institute de Londres considèrent qu’il faut tenir compte, à priori, du travail humain, notamment pour concevoir les installations et les postes de travail.

Joan Woodward (1916-1971) soutient que le changement est un processus d’adaptation à des variables contingentes, notamment celles liées à l’influence déterminante de l’innovation technologique.

Sur la même idée, d’autres auteurs (Perrow, Pettigrew, Mintzberg) introduiront d’autres facteurs, ceux de pouvoir, de nature du travail, de coordination, entre autres.
Il existe aussi une multiplicité d’approches cognitives selon laquelle le changement résulte des capacités d’apprentissage individuel et collectif. Par exemple remettre en cause ses représentations pour faire face à une difficulté.

Dossier Changement ISRI M. CrozierBien entendu, nous ne pouvons pas oublier Michel Crozier (notre photo – sociologie des organisations) qui a mis en évidence les cercles vicieux et les rigidités bureaucratiques, facteurs de résistance ; ainsi qu’Erhard Friedberg qui montre l’absolue nécessité d’un apprentissage collectif visant de nouvelles manières de coopérer et de raisonner.

Enfin, constatons que désormais, il se développe de plus en plus de recherches sur la communication interpersonnelle donnant naissance à des méthodes de construction résultant de processus d’interaction entre les individus.

2) Outils du changement

Trop souvent encore, les cabinets de conseil commercialisent soit l’application de recettes, soit des interventions visant la « transformation ». Le tout s’apparentant à un modèle générique de résolution de problèmes très connu : audit, préconisations de solutions, accompagnements et vérification.

Ainsi, nous trouvons différents outils issus des travaux des auteurs cités plus haut comme l’analyse stratégique, les techniques communicationnelles, l’analyse des vecteurs, les techniques de développement organisationnel (T-Group, team-building, direction par objectifs), les approches sociotechniques et les outils de changement stratégique (TQM Total Quality Management ou Qualité Totale, reengineering ou reconfiguration), entre autres.

Voyons, en quelques mots certains outils :

L’analyse stratégique est une méthode d’intervention sociologique permettant de mettre en exergue les stratégies des acteurs, les relations de pouvoir et les jeux d’alliance. Cette méthode est souvent utilisée lors d’analyses institutionnelles ou d’analyses de la qualité sociale préalables à une démarche de changement organisationnel ou social.

Les techniques communicationnelles appellent les champs de la psychologie. On peut y trouver l’analyse transactionnelle, la systémie, l’analyse situationnelle…
L’analyse des vecteurs permet d’identifier les forces favorables et antagonistes au changement.

Le T-Group vise à réguler les relations au sein des équipes en aiguisant la conscience que les salariés ont de leurs comportements, notamment ceux de (dé)motivation.
La direction par objectifs structure (du moins cherche à structurer) les relations encadrant-subordonnés en fixant des résultats à atteindre.

Le Team-building consiste à constituer des équipes de travail autonomisés dans les objectifs et l’analyse du fonctionnement du groupe constitué.

Les approches sociotechniques sont des techniques anti-tayloriennes par excellence. Elles sont fondées sur l’idée de la « démocratie en entreprise », notamment pour la conception des postes de travail. Actuellement plutôt à l’abandon, ces types d’approches ont connu un certain succès dans les années 70 avec l’exemple célèbre des usines Volvo.

La Qualité Totale (TQM : Total Quality Management) est une politique globale visant la satisfaction du client et l’amélioration permanente de la qualité. C’est de là que sont nés les fameux Cercles de Qualité.

Enfin, le reengineering (reconfiguration, en français) a pour but de redéfinir les buts de l’organisation. Aujourd’hui, ce terme s’est glissé à l’ensemble des opérations de « mise à plat » de l’entreprise.

Pourtant ces recettes et ces interventions sont incomplètes car elles essayent de formater les salariés plutôt que de les adapter au changement en les considérant pour ce qu’ils sont : la véritable richesse de l’organisation !

Deuxième chapitre : Résistance au changement : est-ce bien rationnel ?

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Jan 272012
 

Soulairol Jean-Marc ISRI

Cet article « Réveiller le potentiel humain pour réussir le changement » aborde la notion polysémique d’individu afin de permettre à tous les responsables des Ressources Humaines de comprendre l’incontournable obligation qu’ils ont de considérer le potentiel humain de leur entreprise afin de réussir le changement.

Réveiller le potentiel humain pour réussir le changement

Pour réussir les changements au sein de votre entreprise vous devrez tenir compte de l’éveil du potentiel de vos collaborateurs. Pour y parvenir, vous devrez voir et comprendre vos collaborateurs en tant qu’ils sont des individus et des personnes ; c’est incontournable. Dans cet article, j’aborde ces concepts en tant qu’ils sont des points de réflexion de base. D’abord, repérons-nous :

Selon l’étymologie traditionnelle le terme de personne trouve son origine dans les « termes ‘prosôpon’ et ‘persona’ qui désignent, dans l’antiquité classique, le masque de théâtre. » (Nédoncelle Maurice, La réciprocité des consciences, Aubier, 1942).

Ignace Meyerson est plus critique : « Le terme « persona » est lui-même dérivé du verbe « personare », qui veut dire résonner, retentir, et désigne le masque de théâtre. […] Cette étymologie est généralement attribuée à Boèce (VIe s.). En réalité, elle est déjà attestée chez Aulu-Gelle, IIe siècle. Mais elle est fausse. Pour des raisons d’accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, celle de ‘personare’ est brève), il est impossible que ‘persona’ dérive de « personare ». » (Meyerson, Ignace, Problèmes de la personne, colloque du Centre de recherches de psychologie comparative, E.P.H.E., Mouton, 1973).

Quant à Encyclopaedia Universalis 1998, ‘persona’ signifie ‘personne’, du latin désignant le masque (de théâtre). Pour la petite histoire, les masques étaient en nombre limités : soixante-seize, dont vingt-huit pour la tragédie. Ils correspondaient à des caractères fixes à partir desquels les spectateurs pouvaient s’attendre à des comportements ou à des attitudes déterminés.

C’est par le glissement du masque gréco-romain au personnage représenté, puis du rôle à l’acteur, qui faisait ainsi passer de la dissimulation directe (se cacher physiquement), au paraître en devenant le ‘personnage’.

Mais, comment les comportements et les attitudes de vos collaborateurs doivent évoluer pour accepter, voire participer au changement ? Quels sentiments (positifs ou négatifs) en résulteront-ils, permettant d’affronter la pression ?

Le cogito cartésien, univers d’interrogations, a permis d’inventorier les richesses de l’ordre personnel et d’en disposer. Cela veut dire que ce qui est connu est transformé par le fait même qu’il est connu. En d’autres termes, pour Descartes, les choses ne sont qu’en tant que nous les pensons. Ainsi, a-t-il découvert le fondement de ses travaux, c’est-à-dire l’ego.

A cela, il découle que les collaborateurs, en tant que personnes, deviennent des individus dans la mesure où ils prendront conscience de leur personnalité. Ce qui nous amène à aborder le phénomène de changement sous l’angle de l’engagement et de la motivation, et, principalement, de la morale et de l’éthique.

Pour les béhavioristes les motivations : « sont des stimuli qui poussent à l’action et dont, le plus souvent, on observe les effets sans les saisir directement. » Cependant, « la motivation doit être comprise en tant que mise en question permanente de l’équilibre présent au nom d’un équilibre supérieur futur. » (Corraze, Jacques). Ceci a fondé les conceptions d’Abraham Maslow dont les travaux attribuent à l’homme une force de développement intrinsèque, une puissance d’auto actualisation.

Par ces aspects, nous garderons que la personnalité est en somme un ensemble des manières d’être d’un individu. Pour le dire autrement, il n’y aurait ni soi, ni conscience de soi, ni communication en dehors d’une structure (en l’occurrence, votre entreprise) qui s’établit à travers un processus dynamique d’actes sociaux communicatifs, à travers des échanges entre des personnes (vos collaborateurs) qui sont mutuellement orientées les unes vers les autres ; par un mot : en interrelation.

En définitive, ce qu’il vous faut noter, est la piste qui s’ouvre pour comprendre comment vos collaborateurs peuvent changer, évoluer pour assumer des interactions de participation, prendre des responsabilités ou des initiatives et comprendre aussi comment leurs traits de caractère leur permettront de s’engager, de se motiver, d’échanger, par exemple.

Cette piste, consistant à rechercher le sentiment d’appartenance qu’ont vos collaborateurs, révèlera leur identité cachée derrière un « masque ». Bref, comment la « personne-collaborateur » est-elle pensée par votre collaborateur en tant que « personnage-collaborateur » et comment ce « personnage-collaborateur » joue-t-il un rôle dans votre entreprise ? Cela a-t-il un sens ? Ce sens prend-il forme dans l’environnement de votre structure ? Représente-t-il un « lieu insolite ».

Erving Goffman nous aide : « les applications particulières de l’art de manipuler les impressions, […]grâce auquel l’individu exerce un contrôle stratégique sur les images de lui-même et de ses productions que les autres glanent à son entour. » (Goffman, Erving, Stigmate, Les usages sociaux des handicaps, Minuit, 1975, p.152).

Vos collaborateurs, en tant qu’individus, peuvent donc être compris en tant qu’êtres relationnels à partir de ce qu’ils veulent être ; mais également, en tant qu’êtres en représentations, c’est-à-dire des personnages à partir de ce qu’ils doivent être.

En conséquence, vous devez connaître comment s’y prennent vos collaborateurs dans leurs relations aux autres. Et, vous devrez vous poser cette question : leurs aspirations peuvent-elles concorder avec ce que j’attends de la configuration globale de mon organisation ?

Si nous nous référons à ce qui précède, la participation de vos collaborateurs se caractérisera par le désir de participer (voire par les freins et les résistances produits), les attentes, l’intensification du sentiment d’identification et d’appartenance à votre entreprise, etc. que chacun d’eux pourra satisfaire.

« L’appartenance à » étant le point d’orgue, puisqu’on peut supposer que la démission ou le licenciement constitue l’ultime sanction contre les réfractaires, les résistants. Bref, vos collaborateurs attendent des liens à partir desquels ils peuvent exercer un échange et une représentation. Ces liens pouvant être les valeurs, l’histoire ou l’éthique de votre entreprise parce-que l’individu est un être de besoin qui n’existe que parce qu’il vit en société avec d’autres individus. Inversement, la société n’existe que dans la mesure où les individus qui la composent existent.

C’est chez Norbert Elias et la notion de configuration, ainsi que chez Michel de Certeau et la notion « d’art de faire », qu’il réside des pistes…

Directeurs, chefs de services, managers et autres responsables des Ressources Humaines, etc. vous n’avez plus le choix : vous devez désormais tenir compte du potentiel humain de vos collaborateurs pour réussir le changement et les évolutions de votre entreprise, sinon, c’est l’éviction par la concurrence !

Publiée le 17.05.2013 sur lesEchos.fr

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