Mai 052013
 

Comprendre le changement personnel :
les valeurs, importance et ambivalence

Changement personnel ISRI - Photo ValeursComprendre le changement personnel :
les valeurs, importance et ambivalence

Si « la valeur n’attend pas le nombre des années » n’importe qui peut changer à n’importe quel moment. Mais si, au regard de l’expression : « nous n’avons pas les mêmes valeurs », voulant signifier que nous campons dans notre position, comment pouvons-nous espérer changer ?


De quoi parle-t-on quand on discute de valeurs ?

A. De quoi parle-t-on quand on discute de valeurs ?

La revue Futuribles a rendu compte d’une étude menée sur l’évolution des valeurs des Européens : « Unité ou multiplicité, convergence ou divergence, universalisme ou/et localisme des valeurs, sont-ils comme nous, ou sont-ils autres ? » Les conclusions résumées des Futuribles sont les suivantes :

  1. la société influence les individus dans leur choix de modèles, d’idéologies.
  2. A leur tour les individus exercent une part d’influence par exemple en rejetant ou en reprenant ces idéologies ou ces modèles.
  3. La société est en nous qui sommes dans la société.
  4. Les idéologies font partie intégrante de la personnalité des individus mais sont largement constituées en dehors d’eux. Par exemple les grandes orientations de socialisation en matière politique, économique ou religieuse se prennent assez jeune et l’influence du milieu social est grande.

S’il y a peu de risque de nous tromper en postulant n’avoir pas les mêmes valeurs, pouvons-nous avoir certaines valeurs communes ? Quelles sont les valeurs que l’on suit quand on s’engage dans la vie publique, par exemple ou pour une action au sein de notre entreprise ?

Répondre à ces questions est particulièrement intéressant parce qu’elles nous adjoignent à comprendre les dynamiques relationnelles au sein même des organisations et le changement du salarié au sein de cette organisation.

En effet, les configurations ne sont pas simplement un élément d’identification ; elles sont aussi la scène où se joue la vie sociale, et, souvent, le lieu même de la socialisation. Tout comme on devient individu en s’appropriant, en intériorisant une logique et des valeurs qui existent dans la société où l’on vit et, plus précisément, dans l’organisation où l’on travaille.

Les valeurs : affaire de mots et d'idées mais aussi production de rapports sociaux

B. Les valeurs : affaire de mots et d’idées mais aussi production de rapports sociaux

Enquêter sur les valeurs impose une distinction en deux types : les valeurs qui sont extrinsèques, notamment socialement, qui ont un état d’importance, de grandeur pour l’individu ou un groupe d’individu (par exemple, être heureux et utile) et celles qui sont intrinsèques, précieuses donc personnelles.

Or, il existe d’autres distinctions en deux types : les valeurs instrumentales (honnêteté, politesse, se rapportant à un mode de comportement) et les valeurs terminales, telles la liberté (qui ont trait à des buts de l’existence).

Si pour certains « les valeurs sont les ressorts fondamentaux des désirs et des préférences, les mobiles profonds qui nous animent » parce-que, « dans toute société, la détermination des objectifs s’effectue à partir d’une représentation du désirable et se manifeste dans des idéaux collectifs »(1)Tchernia, Jean-François, Research International in Futuribles, analyse et prospective juillet-août 1995, p.9. Et aussi, Valade, Bernard, Dictionnaire de la sociologie, Larousse Thématique, 1996, p.235

Pour Talcott ParsonsChangement personnel ISRI - Photo Parsons, « les valeurs sont des repères normatifs, des concepts abstraits qui servent à chacun de référent pour la pensée et l’action. »(2)Stoetzel, Jean, Théorie des opinions, Puf, 1943 in Futuribles, ib. p.13 Vu sous cet angle, le terme valeurs est proche de la notion d’éthique dans un registre philosophique.

Ce qui voudrait dire que, si le terme de valeurs a trait aux différentes vertus ou à tous les traits de la personnalité humaine ou de la vie sociale, alors le terme de normalisation peut comporter des termes de valeurs outre ceux d’obligations.

En l’espèce, il est intéressant de remarquer que l’homme ne peut pas vivre sans règles qui légitiment des attentes et justifient des sanctions. Peu importe le contenu de ces règles, elles seraient intériorisées et correspondraient à une position d’autonomie et d’indépendance par rapport au monde. C’est la raison pour laquelle l’espèce humaine est une espèce normative.

Bref, qu’il s’agisse des travaux de ces auteurs, ou bien, qu’il s’agisse de Karl Marx dont les valeurs dans sa tradition est l’idéologie (agissante, équivalente à l’éthique et à la solidarité) légitimant le rapport de production capitaliste dans le fonctionnement de la société ; de Max Weber qui voit les valeurs comme antécédentes au capitalisme et donne dans ses théories une place prééminente à l’individu ; ou de Durkheim avec sa conscience collective qui désigne en quelque sorte les valeurs par lesquelles se fait le lien social, il semble que le concept de valeurs, quel que soit le nom qui lui est donné par les auteurs que nous venons de citer (idéologie, éthique, conscience collective), reste très global.

Changement personnel ISRI - Photo StoetzelLa première difficulté concerne donc l’approche empirique et quantitative du concept de valeurs : en quoi peut-on inférer la présence de telle valeur à partir de telles batteries d’indicateurs ? Interrogation qui était déjà apparue au début du siècle avec les premiers tests d’intelligence.

Par exemple, Jean Stoetzel (photo ci-contre) différencie les valeurs des opinions qui sont l’adhésion à un jugement qui n’existe que lorsqu’elle est exprimée, consciente.

Malgré cela, c’est à partir des opinions que les individus expriment qu’on peut « inférer » correctement les valeurs qui expriment, elles, les désirs et les préférences individuelles et sociales. En définitive, chacune des trois distinctions proposées jusqu’ici (intrinsèque/extrinsèque, instrumentale/terminale et repère-normatif/mobile-profond) éclaire des aspects différents des valeurs des individus.

Autant d’indicateurs des raisons des changements que nous pourrions observer au sein des organisations ; ce qui devrait témoigner de la fécondité des valeurs dans le travail des salariés.

Changement personnel ISRI - Photo SchelerMais pour aller plus loin, Max Scheler « a reconnu la valeur non seulement des personnes singulières, mais aussi de ces personnes communes que sont la nation, la totalité culturelle, etc. L’homme, en la vie psychique de qui s’étagent différents niveaux interdépendants, végétatif, instinctif, associatif, pragmatique, est aussi esprit(3)« [La personne est] la substance unitaire de tous les actes qu’un être effectue. » Scheler, Max, Le formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs, 1913-1916, tr. Maurice de Gandillac, Gallimard, 1955, p.IV Ce centre d’activité libre ne subsistant que dans l’accomplissement des actes intentionnels, c’est-à-dire se référant aux valeurs(4)Scheler in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom 98 à Philosophie de la personne (Jerphagnon, Lucien). »

Changement personnel - Photo BoudonPour Raymond Boudon, « [(Max Scheler)] affirme l’objectivité des valeurs, au sens où les valeurs existeraient indépendamment du sujet qui les appréhende. »(5)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999

C’est précisément ce que nous allons développer dans la section suivante, c’est-à-dire, la théorie des valeurs de Scheler. Parce-qu’elle nous amènera à comprendre le phénomène de changement au travers de contradictions ou de correspondances entre les valeurs personnelles et les valeurs objectivées par l’individu dans ses interactions et interrelations.

NB : Afin de mieux appréhender les concepts de personne et d’individu comme nous l’exposons dans ce papier, le lecteur aura grand avantage à lire l’article se trouvant en suivant ce lien.

La théorie des valeurs de Scheler, une conception des catégories morales

C. La théorie des valeurs de Scheler, une conception des catégories morales

Pour Max Scheler, les valeurs sont révélées par l’émotion. « Les valeurs sont des phénomènes de base donnés à l’intuition affective perceptive. »(6)Scheler, M., Le formalisme…, op. cit., p.284 in Boudon, R., La théorie…, op. cit., p.21 Mais, si des inclinations particulières à dominante subjectives, comme le respect ou l’éthique, orientent l’individu vers les valeurs, elles ne déterminent pas pour autant leur contenu.

Précisant que, si des mécanismes divers (l’intérêt, le ressentiment, l’affection, par exemple) entraînent une perception biaisée des valeurs, ils n’en affectent pas moins les valeurs.
Pour résumer la pensée de Scheler, cette indétermination des valeurs laisse place à l’innovation, qui réussit lorsqu’elle répond à des inclinations. Elle ouvre à une marge d’interprétation faite de jugements de valeurs, lesquels engendrent des conflits de valeurs.

Réciproquement, ces conflits sont incompréhensibles si l’on ne voit pas cette indétermination. Ainsi, il traite plusieurs sources de distorsion des valeurs. Par exemple :

  • le pharisaïsme en tant que donnée générale : « les individus sont normalement mus par l’intérêt »(7)Palante, Georges, L’individualisme aristocratique, les Belles Lettres, 1995 in Magnone, Fabrice, Le Monde Libertaire n°1028, 1-7 fév. 1996 ;
  • le ressentiment comme un rapport d’impuissance à un état de chose qu’un individu souhaiterait changer : « on peut évaluer positivement ou négativement quelque chose qui ne le mérite pas, lorsque cette valorisation à un effet psychologique positif sur l’évaluateur lui-même »(8)s’inspirant de Nietzsche  : Die Genealogie der Moral, 1887 Scheler, Max, Ressentiment im Aufbau der Moralen, p.3-5, in Boudon, R., La théorie…, op. cit., p.24 ;
  • le relativisme, découlant du fait que l’objectivité des jugements de valeur auxquels nous croyons soit le témoin de conflits de valeurs : « [(l’individu)] risque alors de se laisser séduire par la thèse de la subjectivité des valeurs morales, par la thèse de « l’arbitraire culturel » des valeurs et par les diverses théories qui font des valeurs des illusions »(9)Scheler, M., Le formalisme…, ib. p.326 in Boudon, R., Travaux du Gemas n°6, ib. p.25 et
  • les facteurs cognitifs qui, d’une façon générale « font bien voir que le contenu des valeurs est pour partie contingent et pour partie tributaire de données propres à telle ou telle société. »(10)faisant écho à Durkheim : Scheler, Max, Le formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs, 1913-1916, tr. M. de Gandillac, Gallimard, 1955, p.IV, p.308 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.26

Mais, si le contenu des valeurs est indéterminé, Scheler note un corollaire crucial, à savoir qu’elles ne peuvent, en elles-même, déterminer les normes puisque, les valeurs reçoivent un contenu particulier dans des contextes culturels déterminés.

Changement personnel - Photo Maisonneuve« Pour Maisonneuve (1985), les normes sont des règles et des schèmes de conduite très largement suivis dans une société ou un groupe donné, […] Elles se réfèrent à ce qui paraît socialement désirable, convenable dans tel ou tel groupe particulier. Elles traduisent les valeurs dominantes dans ce groupe. […] Elles ont pour fonction la cohésion, la réduction de l’incertitude et la socialisation. »(11)Cazals-Ferré, Marie-Pierre et Rossi, Patricia, Eléments de psychologie sociale, A. Colin, coll. Synthèse, 1998, p.28

Par suite, « les normes, qui sont déduites de ce contenu particulier, ne sont pas des conséquences directes des valeurs. » Ici, Scheler apparaît comme très proche de Weber et de Durkheim.

Sur le thème de la religion « il retrouve Benjamin Constant (De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements, 1824-1831) pour qui les religions traduisent des idées identiques dans des symboliques variables ou Tocqueville, qui déclare dans la « Démocratie en Amérique » que l’immortalité de l’âme et la métempsycose sont des traductions symboliques de la même idée. »(12)Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.26.

Cette théorie explique que les mêmes valeurs s’expriment normalement par des symboles variables. Plus important : s’il y a indétermination des valeurs, il y a logiquement variabilité des normes.

Comme Tocqueville ou Durkheim, Scheler suggère un passage des valeurs aux normes par le truchement de théories : « théories d’inspiration religieuses dans les société traditionnelles, d’inspiration philosophique et/ou scientifique dans les sociétés modernes. »(13)Boudon, R., Travaux du Gemas n°6, p.28

Ainsi, les normes seraient inspirées par les représentations et les théories en vigueur dans telle ou telle société. Mais tout cela n’est possible, précise Scheler, que si « la notion de personne peut se former. »

Autrement dit, si la reconnaissance des droits de l’individu est une traduction dans le registre des normes de la valeur de personne : « s’il ne peut venir à aucune personne sensée l’idée de faire deux espèces des Noirs et des Indo-Européens, c’est en raison de l’installation définitive de la valeur de personne humaine. » (Scheler cite le paléontologue Quenstedt : « Si les Noirs et les Indo-Européens étaient des limaces, les zoologistes en feraient deux espèces. » Scheler, M., Le formalisme…, ib. p.299 in Boudon, R., ib. p.31).

Donc, pour Scheler, la notion de personne est une « catégorie purement morale »(14)Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.32 distincte des notions de je (psychologie), caractère (sociologie) et d’âme (théologie). Ainsi, pour Scheler, on ressent les valeurs, on ne peut les expliquer (« on ne peut expliquer pourquoi un poème, un tableau ont de la valeur »(15)Scheler, M., le formalisme…, ib. p.212 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.33.

Ce qui nous permet de voir une opposition entre affectif et rationnel, entre les affects variant selon les ressources de la personne et, par exemple, des sentiments d’attraction ou de répulsion qui eux peuvent être aisément associés à des raisons identifiées, articulées ou axiologiques. C’est-à-dire, des raisons pouvant être objectivées, analysées, défendues voire formalisées. Les raisons axiologiques devant être entendu, ici, en tant que jugements de valeur.

Par voie de conséquence, si nous nous référons au célèbre aphorisme de Pascal, « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas », la variabilité des valeurs ne s’explique que « si l’on suppose que l’affectivité n’est pas vierge de raisons métaconscientes »(16)Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.31, de raisons propres pouvant être mises en évidence.

Par exemple, «un enseignant corrigeant un examen n’a pas réellement conscience du jugement de valeur qui détermine le « bon temps » à passer sur la copie. Cependant, il peut « justifier » de ce « bon temps » par des raisons (entre autres) de temps disponible, de devoir envers les candidats, de nombre de copies à corriger, d’obligations morale diverses, tant personnelles que professionnelles, son existence en général, le lieu de correction. »

Pour résumer : le fait que les valeurs s’expriment de manière symbolique, le fait qu’elles donnent naissance à des normes, que ces normes soient tirées de valeurs empruntées à la société ambiante, constituent un système particulier de normes et de valeurs caractéristiques d’une société, d’une organisation.

Par extension, cela voudrait dire que la morale produit des normes susceptibles d’orienter les agirs humains.

Pour le dire autrement, « la réflexion théorique sur les valeurs a peut-être une influence sur la création d’un nouvel ethos »(17)Scheler, M., le formalisme…, ib. p.311 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.28. Ce qu’il faut entendre par ethos est « le caractère commun à un groupe d’individus d’une même société »(18)Dictionnaire Encyclopædia Universalis, Cd-Rom 98.

Dans notre propos, les ethos, constituant donc des constructions tendant à l’expression de valeurs morales. En clair, la théorie de Scheler nous intéresse particulièrement parce-qu’elle s’attache aux faits.

Ainsi, pour préciser ce que nous disions à la fin de la section précédente à propos des valeurs personnelles (leur variabilité et leur diversité) et de leur objectivation dans les interactions et interrelations, cette théorie nous permettra de repérer : – les sentiments de l’individu (du salarié) qui se traduisent par des jugements de valeur , – l’objectivation de ces jugements de valeur, c’est-à-dire leur manifestation concrète et – les développements axiologiques des valeurs communes favorisant le changement au sein des organisations.

Ceci nous amène à nous demander ce qui peut bien conduire l’individu à la construction d’un nouvel ethos. Ici, notre objectif est de chercher l’influence sur les changements d’une conciliation entre les valeurs personnelles (les jugements de valeurs) qui produisent des normes susceptibles d’orienter les agirs humains et l’objectivité des valeurs dans les interrelations qui pourraient engendrer la création d’un nouveau système de valeur. C’est ce qui va être abordé maintenant dans la section suivante.

Peut-on fonder un système de valeurs ?

D. Peut-on fonder un système de valeurs ?

Nous venons de saisir que les valeurs morales dépendent pour Scheler de nos émotions liées à des schémas théoriques et sont le produit d’innovations.
De même, nous avons vu que la morale intervenait pour produire des normes qui sont susceptibles d’orienter les agirs humains.

Alors, si ces émotions visent et laissent apparaître non seulement les valeurs mais aussi les agirs humains, sur quelles bases l’individu évalue-t-il le choix de ses normes ?

Par là donc, se pose le problème d’une morale qui met en relation l’individu avec un groupe social déterminé. Dans ce qui nous préoccupe ici : le salarié changeant avec l’organisation.

Les analyses de Scheler affirment que « [l’]indétermination des valeurs est non seulement observable ; elle permet aussi de comprendre qu’il existe en manière de valeurs des innovateurs, et que ceux-ci soient tenus pour occupant une place élevée dans la hiérarchie des valeurs. » Les analyses de Scheler sont ici très proches de celles de Weber : « les prophètes au sens large, comme Confucius ou Jésus, occupent une place exceptionnelle dans la hiérarchie des grands hommes, parce qu’ils ont été des créateurs de valeurs.

En même temps, il faut comprendre que les innovateurs ne sont reconnus que lorsqu’ils répondent aux « Neigungen » [(dispositions)] du public »(19)Boudon, R. Gemas n°6, ib. p.22.

Changement personnel ISRI - Photo WeberTrès proche de Weber, donc, ou de Durkheim, Scheler nous propose d’y répondre par la valeur sentimentale de sympathie. Sympathie qu’il faut entendre non pas comme une bonne disposition envers quelque chose, mais plutôt à la manière de ce que nous venons de développer, comme un sentiment éprouvé pour quelqu’un. C’est-à-dire en tant que perception (émotion) et acte intentionnel (agirs humains). Par là même, la sympathie permet de saisir comme telle, par exemple, une sorte de désir d’union, de coopération positive (solidarité) pour conduire au bonheur, au plaisir et au bien être.

(aparté) Dans Ethique à Nicomaque (1099 a 17-21), Aristote impose le plaisir dans les actions morales : « On n’est pas un véritable homme de bien quand on n’éprouve aucun plaisir dans la pratique des bonnes actions, pas plus que ne saurait être jamais appelé juste celui qui accomplit sans plaisir des actions justes, ou libéral celui qui n’éprouve aucun plaisir à faire des actes de libéralité, et ainsi de suite. S’il en est ainsi, c’est en elles-mêmes que les actions conformes à la vertu doivent être des plaisirs. » Sur ce point, Scheler exprime un autre argument : « l’homme peut tendre, non vers le plaisir, mais vers le bien ; et l’on ne peut réduire l’un à l’autre en faisant mine de croire qu’on recherche le bien en raison du plaisir qu’il y a à faire le bien »(20)Scheler, M., Le formalisme…, ib. p.257 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.8.
D’autres auteurs, ainsi Pascal, Rousseau, H. Bergson, d’autres écoles telles que les Utilitaristes anglo-saxons (Bentham, J.S.Mill) réhabilitant l’affectivité, ont mis l’accent sur le rôle des sentiments, la valeur de l’intuition et la fonction de l’intérêt et du désir, voire de l’amour dans le jeu de la pensée humaine. (fin d’aparté)


Dans un autre article ISRI, nous avions précisé que pour exister et s’identifier, l’individu avait besoin des autres, cela voudrait dire que son existence et son identification seraient régis par le principe de sympathie régnant entre personnes appartenant à divers groupes. En l’occurrence, entre les salariés de l’organisation répartis en services ou équipes (micro-groupes), par exemple.

Ce serait, donc, la sympathie qui assurerait la cohésion de ces groupes. Autrement dit, la sociabilité aurait trouvé ses fondements avec la sympathie.

Ce qui va nous intéresser de repérer alors ans les entreprises, c’est comment la sympathie va permettre une communication et signifier des conduites interpersonnelles. Nous nous intéressons à cette approche de la sympathie parce-qu’en tant que valeur, émotion, elle nous permet d’aborder le phénomène de changement comme une interrelation.

Des auteurs tels Husserl ou Simmel peuvent être évoqués à l’appui de la théorie de Scheler pour parler d’amitié et d’éthique.

L’amitié, peut être entendue comme une lien d’affection, de tendresse, de générosité pour une personne, une forme d’amour. Valeur elle-même, elle est tolérance et permet une claire acceptation entre des différences et la reconnaissance de valeurs mutuelles. En ce sens elle marque le respect et l’égalité.

Pour Aristote, l’amitié est « un sentiment de bienveillance active et réciproque, lien social par excellence. Nul bonheur n’est pensable si l’on est privé d’amis. » De ce point de vue, c’est un sentiment réciproque.

Changement personnel ISRI - Photo KantPour Kant, l’amitié « exige que l’on se maintienne l’un à l’égard de l’autre à une distance convenable »(21)Kant, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, II, tr. V. Delbos, Delagrave, par.46, 148. Ici, l’amitié, pour être authentique, doit se fonder sur une certaine distance.

Mais ce qui définirait le mieux l’amitié pour Scheler serait certainement une forme sublime de sympathie à l’égard d’autrui. Autrement dit, un altruisme. En ce sens, les changements observables pourraient être éclairés par la question de l’amitié en tant qu’altruisme. Parce-que la personne se manifeste à l’amitié dans la diversité de ses actes.

Cette diversité autoriserait les interrelations permettant, à leur tour, son évolution donc son changement.

Cette amitié, en tant qu’altruisme, peut dès lors désigner le lieu de naissance de l’éthique.

C’est ce sens, qui éclaire la question d’autrui : autrui comme autre, altérité, non plus alter ego, différence.

Cependant, Scheler introduit une distinction essentielle entre les formes de l’éthique et l’ethos : l’éthique apparaît « lorsque un ethos régnant se décompose »(22)Scheler, M., le formalisme…, ib. p.317 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.29. Il définit l’ethos comme « le système de normes et de valeurs caractéristique d’une société. »

Alors, si autrui est celui avec lequel une personne peut construire véritablement une relation et une réciprocité dans l’amitié notamment, autrui doit être aussi celui qui impose des limites et ouvre au désintéressement. Nous traduisons : ouvre à la morale, à la construction d’une éthique.

Changement personnel ISRI - Photo Comte-SponvillePourquoi a-t-on besoin de morale ? Parce-que, sans elle, rien de ce qui existe ne saurait être évalué ni affronté. Pour le dire avec André Comte-Sponville, « pour essayer de comprendre ce que nous devrions faire, ou être, ou vivre, et mesurer par là… le chemin qui nous en sépare »(23)Comte-Sponville, André, Parler de morale ?, Magazine littéraire n°361, 01-98. Vu sous cet angle, la relation à autrui dépasse le cadre strictement affectif de Scheler. Toutefois nous lui resterons fidèle parce-que, nous le rappelons, une perception biaisée des valeurs par les individus n’en affectent pas moins les valeurs(24)C’est ce que nous avons compris avec la théorie de Scheler, p.46.

Or l’éthique étant une valeur, le fait que « toute connaissance éthique s’effectue selon des lois rigoureuses de la perception affective n’affecte en rien son objectivité. »(25)Scheler, M., le formalisme…, ib. p.335 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.21

Ainsi, en élaborant son éthique de la sympathie, Scheler s’attache à montrer qu’elle serait une forme englobante. « Ce qu’il appelle « théorie de l’identification de la sympathie » permet d’expliquer les situations de fusion. […] Cette théorie de l’identification est en parfaite congruence avec le développement de l’image »(26)Scheler, Max, Nature et Formes de la sympathie, Payot, 1928, p.113 in Maffesoli, Michel, Le temps des tribus, La Table Ronde, 2000, p.136. Ce qui semble faire écho :

  1. à la notion de solidarité comme nous l’avons comprise ; c’est-à-dire, ici, en tant qu’elle peut être expliquée comme une situation de fusion et
  2. au concept d’identité en tant qu’il puisse apparaître comme une image.

Poser tout ce qui vient d’être développé dans cet article suppose une connaissance concrète des comportements de l’individu, en l’occurrence du salarié. Espérant découvrir, par là, « comment la profondeur peut se cacher à la surface des choses. »(27)Michel Maffesoli montrant, à propos de la vie quotidienne, comment la profondeur pouvait se cacher à la surface des choses. Maffesoli, Michel, Le temps des Tribus, La table ronde, 2000, p.138 C’est-à-dire, comment « l’expression » du salarié à la recherche de sa place au sein de l’organisation, d’une relation à l’autre et de reconnaissance identitaire permet une compréhension du phénomène de son changement personnel que l’on pourrait observer.

Pour ne pas conclure sur les valeurs

E. Pour ne pas conclure sur les valeurs

En résumé, ce que nous apprenons, c’est que le phénomène de changement échappe aux normes et au contenu même des valeurs. Elles-mêmes tributaires de toutes sortes de facteurs extra-moraux. La relation des membres d’un groupe est donc fonction des valeurs internes qu’il produit : « l’apparition d’une valeur peut être facilitée par le contexte ou la conjoncture ; sa persistance ne peut s’expliquer seulement parce-qu’elle est adaptée au contexte et à la conjoncture. »(28)Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.30

Ainsi, du changement qu’il est possible d’observer dans les organisations, nous dirons que les valeurs permettent de comprendre le glissement d’une logique de l’identité à une logique de l’identification.

Ce glissement pourrait être essentiellement individualiste, pourtant, il est beaucoup plus collectif. En fait, l’identification associe chaque personne à un groupe selon une relation. Cette relation est la conséquence d’une attraction : on s’associe suivant les contingences ou/et les désirs, les besoins. Ceci implique une multiplicité de valeurs et d’intérêts opposés les uns aux autres.

L’individu n’est, ici, jamais une unité définitive mais toujours en construction, toujours solidaire avec tous dans l’appartenance à un même groupe ou micro-groupe. Ce qui voudrait dire que l’intérêt qui lie l’individu à ce groupe ou micro-groupe, ainsi que les valeurs qui sont partagées contractuellement, deviennent progressivement ciment et vecteurs d’éthique. Celle-ci paraissant factrice de socialisation ; c’est-à-dire :

  1. d’intégration dans un groupe et
  2. de transcendance de l’individu.

Par cela, elle le transforme, le fait changer, donne du sens à ses interrelations et interactions. Bref, cette production individuelle permettrait de vivre, ce que nous nommerons, une « légende collective spécifique » (une légende dans le sens de fabuleux, mythologique), c’est-à-dire une reliance (de re-ligare plutôt que de recollectere, c’est-à-dire de rassembler).

Désormais, il n’y aurait plus rien de permis ou défendu mais l’individu a l’exigence de se produire lui-même, tenu pour responsable de tout ce qu’il est, fait ou paraît.

(aparté) On reconnaît ici l’idée du persona, du masque qui peut être changeant et qui surtout s’intègre dans une variété de scènes, de situations qui ne valent que parce qu’elles sont jouées à plusieurs. De même, la personne joue des rôles au sein d’une configuration à laquelle elle participe, elle y prend une place. D’où l’importance de l’apparence en tant que vecteur d’agrégation, de sentir en commun (fin d’aparté).


Et cette exigence de se produire lui-même serait un défi à assumer dans la solidarité parce-que cet effet de reliance est susceptible de donner aux individus une place qui acquiert du sens.

Ce qui nous paraît désormais éclatant c’est que l’objectif unique de l’individu dans un groupe serait d’être ensemble au-delà de toute autres considérations. C’est, en tout cas, la manière de penser de Michel Maffesoli : « [nos tribus contemporaines] n’ont que faire du but à atteindre […] Elles préfèrent « entrer dans » le plaisir d’être ensemble. »(29)Maffesoli, M., Le temps…, op. cit., p.VII

Mais il est frappant de constater au sein des entreprises, que cette forme de collectivisation, cette socialisation, semble bien plus confuse, hétérogène, mouvante, que rationnelle, mécanique et finalisée.

Par association d’idées, serait-ce à dire que les stratégies qu’appelle l’action humaine sont des stratégies de reliance ?

Ce qui nous conduit à nous demander si comprendre le phénomène de changement ne pourrait pas être tenté de comprendre comment ce « entrer dans » est « négocié » par le salarié parce-que cette construction individuelle de lien social, cette socialisation, nous signifie l’influence de l’individu sur lui-même par des manières de faire propres.

Chronique publiée le 12/06/12 sur lesEchos.fr

 

L'auteur

Pour en savoir +

Notes de l`article   [ + ]

Mai 052013
 

COMPRENDRE LE CHANGEMENT :
Le salarié dans son entreprise,
un inventeur de manières de faire

Article complémentaire au dossier sur le changement personnel, deuxième partie (#2.1).

Changement personnel - Photo Certeau

Michel de Certeau, dans la première partie de « L’invention du quotidien », entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »(1)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.XXXV

 

Ce que propose de Certeau

Ce que propose de CERTEAU

Ce que propose Certeau, c’est « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus »(2)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XL qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système »(3)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XXXVIII, « subvertissent » les productions ou les représentations imposées par une contingence.

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierNous allons donc nous attacher a découvrir les types de logiques spécifiques exercées au sein d’une organisation et les ruses anonymes, les habiletés « inventées » au coup par coup dans les interrelations : les  TACTIQUES.

« J’appelle tactique l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. […] La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit- elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. Dossier Changement Définition ISRIElle n’a pas le moyen de se tenir en elle même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi », comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant. […] En somme, c’est un art du faible. »(4)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60,61

Par suite, nous prendrons appui sur les concepts d’usages, de stratégies et de tactiques de Certeau.

Nous nous intéressons à ces concepts parce-qu’ils permettent d’aborder le phénomène de changement dans les différentes situations comme une inventivité incessante de certains salariés, par exemple. Cette inventivité, plus ou moins inconsciente, devrait nous mener au cœur même des raisons des changements parce-qu’elle est susceptible d’autoriser des « arts de faire » dans les relations, les rendant dynamiques relationnelles.

Pour exemple faisons une analogie, les pratiques de « bricolage » qui relèvent des nouvelles technologies produisent une écriture particulière favorisant une lecture rapide, signalétique et une mise en page dont la typographie est image.

Cette écriture particulière produit à son tour une lecture particulière qui fonctionne comme un espace ouvert à l’inventivité. Donc, un « propre » de modèles et de relations.
Cette écriture particulière semble, par là, traiter de la dimension sociale dans lequel se trouve inscrite une pratique symbolique (un graphisme) qui structure la fabrication d’un sens (une intention, un imaginaire ou à une représentation des normes) et la met en valeur.

Selon Certeau, ce « propre » est le préalable à l’élaboration d’une stratégie(5)« le calcul des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d’un « environnement ». Elle postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations avec une extériorité distincte. » (Certeau, M., L’invention…, ib. p.XLVI).. Il a montré comment il y a un « geste » qui distingue un lieu autonome, un « propre », qui permet de capitaliser les avantages acquis et de préparer des expansions futures : « l’enfant gribouille encore et tache son livre d’école ; même s’il est puni de ce crime, il se fait un espace. »(6)Certeau, M., L’invention…, ib., p.53

Il implique donc un contrôle du lieu par le biais d’une « pratique panoptique »(7)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60 qui permet de le contrôler en le transformant.
Le lieu circonscrit comme un « propre » sert alors de base pour gérer des relations, une communication et fixer des stratégies qui les transforment en espaces lisibles. Par exemple, « l’acte de dire est un usage de la langue et une opération sur elle. »(8)Certeau, M., L’invention…, ib., p.56

A retenir ISRILa tactique s’inscrit dans le lieu de l’autre(9)« La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.60).. Ce qui nous permet de regarder les actions du salarié en tant qu’elles sont des tactiques, c’est-à-dire des actions calculées que détermine l’absence d’un « propre », mouvements dans un espace contrôlé par autrui.

C’est un art de jouer des coups, de saisir l’occasion : « [la tactique] fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend. »(10)Certeau, M., L’invention…, ib., p.61 Autrement dit, « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre. »(11)« Le « propre » est une victoire du lieu sur le temps. Au contraire du fait de son non-lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y « saisir au vol » des possibilités de profit. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.XLVI).

Il est remarquable que les termes de « tactique » et de « stratégie », entendus dans le sens certausien, sont antonymes, mais pas véritablement antinomiques : une manière d’agir pour atteindre un objectif, pour l’un, une connaissance portant sur les différentes manières d’agir, c’est-à-dire un « art de combiner et de coordonner diverses actions pour atteindre un but »(12)Dictionnaire Robert, Micro Poche, tome II, 1986, pour l’autre.

D’un point de vue individuel, l’usage de ces pratiques serait alors un art d’être et de faire circonstanciel, une tactique conduisant l’individu dans une autodidaxie dont on devine le rapport au monde et à soi propice aux changements.

Elle serait avant tout une construction de détours et contours, toujours substitution de règles de contrainte.

Découvrir cette réinvention du quotidien exercée par le salarié doit permettre de marquer son acculturation, ses innovations et le préparer à son changement.

Autrement dit, repérer et décomposer les stratégies ou les tactiques adoptées par les salariés devrait nous permettre de comprendre le phénomène de changement aussi bien au travers de son identité personnelle que de son identité sociale prise au jeu des interactions avec l’organisation (le service, l’équipe…).

En même temps et en poussant ce raisonnement, cela nous permet lors de nos prestations de dégager trois points :

  • l’expression de sa personnalité,
  • son image du micro-groupe (nous traduisons : le lieu symbolique où il veut s’installer) et
  • son acculturation qui s’accompagne d’actions symboliques (usages, jeux, ruses, tactiques par des potentiels d’imagination et de créativité) destinées à consacrer son changement.

La variété des changements constatés enrichit, dès lors, notre compréhension du phénomène. L’examen des transformations, des changements qui affectent tour à tour les valeurs, les conduites et les systèmes de pensée permettent ainsi la description des conditions de leur apparition, leur fonctionnement et leur éventuelle disparition.

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Prestation - Supervision ISRIA partir des thèmes abordées dans les recherche de M. de Certeau, nous avons souvent demandé sur le terrain que chacun explicite ce que lui procure sa participation dans son micro-groupe (son équipe, son bureau, son service, son centre, son agence…). Ces perceptions nous ont permis d’identifier des comportements divergents.

La diversité de ces divergences, à leur tour, nous a permis d’envisager un classement. Ainsi, nous avons considéré trois catégories de salariés qui correspondent à trois grandes manières de décrire la participation :

  • le salarié actif ou « philanthrope »,
  • le salarié passif ou « pharisien-prestige »,
  • le salarié actif-passif et le salarié passif-actif ou « synallagmatique ».

1) Le salarié philanthrope :

Le Philanthrope est rare. Il est celui qui aide les autres bénévolement, fraternellement, spontanément, sans contrepartie, par foi, simplement. C’est un actif au sein de l’organisation. Il a besoin de cette action. On le retrouve syndicaliste, ou actif au Comité d’Entreprise, par exemple.

Mais son attitude n’est pas toujours constante parce qu’elle constitue une contribution ponctuelle à l’organisation. En fait, son comportement altruiste est limitée dans le temps et se repère seulement par bribes, par « coups d’éclats ».

Il se rapproche dans ses attitudes relationnelles à celles du don. Il est d’une relative stabilité familiale et professionnelle.

2) Le salarié pharisien-prestige :

Celui qu’on appellera « le Pharisien-prestige » cherche dans ses relations quelque chose de précis, pas nécessairement la pratique de son métier, mais, plutôt, répondre à un besoin de reconnaissance.

Ce besoin s’appuie sur la nécessité de connaître voire d’appartenir au corps de métier dont la caractéristique principale, pour « celui qui n’en fait pas partie », est l’image du « prestige », pour lui.

Une première réflexion pourrait nous faire le qualifier « sous le nom pudique de consommateur »(13) Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.XXXVI.

En fait, c’est un « passif/passif » dans sa participation au dynamisme général de l’entreprise même si c’est un actif pour lui-même. Il est persuadé de faire quelque chose pour les autres, en fait, il le fait pour lui d’abord : sa mobilisation repose sur la reconnaissance qu’il espère en lien avec sa motivation essentielle qui repose sur la reconnaissance qu’il obtient. Bref, un pharisien. C’est-à-dire « celui qui présente comme conforme à l’intérêt général ce qui est avant tout de son intérêt. »(14)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999 p.7

Il sait ce qu’il veut même s’il ne le formule pas clairement : s’aider lui-même au succès de sa propre démarche de reconnaissance (« pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont(15)« Pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont : Individu-dans-le-monde / Individu-hors-du-monde : « L’individu, s’il est « non social » en principe, en pensée, est social en fait : il vit en société, « dans le monde ». En contraste, le renonçant indien (Indes) devient indépendant, autonome, un individu, en quittant la société proprement dite, c’est un « individu-hors-du-monde » ». Dumont Louis, Homo aequalis, 1976.), et peut facilement quitter l’entreprise lorsque sa demande est satisfaite. Oui, oui, vous lisez bien, lorsque sa demande de reconnaissance est satisfaite !

3) Le salarié synallagmatique :

C’est le type de salarié le plus fréquemment rencontré dans nos prestations (7 fois sur 10). Il « marche au donnant-donnant ». L’entraide mutuelle, lui, il connaît ! Il donne avec toujours le secret espoir d’un retour : « Je donne si tu m’as déjà donné ou si je suis quasiment sûr que tu me rendras ». Il s’agit là d’une attitude synallagmatique. C’est la raison pour laquelle nous lui avons attribué ce nom.

Il semblerait qu’il cherche à répondre à un besoin de relations qui s’appuie sur celui d’appartenance à un groupe qui le reconnaît. Il y parvient à communiquer, échanger, partager, développer des projets avec les autres par système « d’ancrage » et de « mobilisation ».

On distinguera deux profils de Synallagmatique :

le « Synallagmatique passif-actif » que nous appellerons « Synallagmatique-copain »(16) Forme de l’ancien français compain, « avec qui on partage le pain ». C’est un camarade que l’on aime bien. (Dictionnaire usuel du français, Hachette, 1989). Sachant qu’un camarade est une personne avec qui on partage certaines occupations et qui de ce fait devient familière. Le Larousse de poche de 1978 nous dit : « Compagnon de travail, d’étude, de chambre » et le Quillet de 1971 « Celui qui vit familièrement avec un autre ». Il échange en s’arrangeant de prendre plus que ce qu’il est prêt à donner. Il peut exprimer ce qu’il voudrait faire pour les autres mais avancera des excuses pour ne pas les faire. Il est, dans l’idée, relativement proche du Pharisien-prestige.

le « Synallagmatique actif-passif » ou « Synallagmatique-ami« . Un ami n’est-il pas une personne avec qui l’on a des affinités, proche, intime ? « Qui a de l’attachement pour » nous dit le Quillet de 1971.

C’est un sentiment partagé, réciproque. Lacordaire (Henri-Dominique, abbé) ne disait-il pas : « L’amitié est le plus parfait des sentiments de l’homme parce-qu’il est le plus libre, le plus pur et le plus profond » ? Et Montaigne à propos de la Boétie : « Si on me presse à dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en disant : « Parce-que c’était lui, parce-que c’était moi » » ?

Le Synallagmatique-ami échange en donnant plus qu’il ne prend. Il exprimera ce qu’il fait réellement pour les autres mais gardera à l’esprit ce « retour des choses » qui équilibre ses rapports. Ceci dit, les comportements et les attitudes du Synallagmatique-ami tendent à se rapprocher de ceux du Philanthrope.

En résumé, un tableau


Type de salarié


Actif


Passif


Actif

 


Philanthrope

(cherche à aider bénévolement)


Synallagmatique copain

(échange en prenant +)


Passif

 


Synallagmatique ami
(échange en donnant +)


Pharisien-prestige

(cherche à prendre)

Tableau récapitulatif des trois figures du salarié

La lecture de ce tableau nous conduit à poser de nouvelles questions dont les réponses pourraient déterminer un nouveau paramètre : le niveau d’engagement du salarié par rapport à son ancienneté.

En l’incluant dans l’analyse, il permettrait au responsable du changement de définir avec plus de précision encore la définition des trois catégories types de salarié, d’une part, et indiquerait les fluctuations de l’environnement de l’organisation, d’autre part.

Autrement dit, la question à se poser serait : y aurait-il une évolution entre les diverses attitudes perçues : Pharisien-prestige puis Synallagmatique (copain puis ami) puis Philanthrope ? Si oui, quel en est le facteur ? Y aurait-il une durée au terme de laquelle le salarié prendrait la décision, consciente ou pas, de s’engager plus ou de quitter l’association ?

Nous entendons par « évolution de l’engagement » des phases successives par laquelle passe le salarié avant d’atteindre de façon utopique « l’engagement total ». Le salarié partirait d’une situation de « consommateur » (le Pharisien-prestige) pour évoluer, dans ses attitudes d’engagements, vers les caractéristiques du Synallagmatique (copain puis ami) puis vers celles du Philanthrope.

Pour répondre à ces questions avec certitude le responsable du changement devra communiquer par entretiens individuels et en groupe avec les salariés. Par expérience terrain, il semble que l’engagement évolue avec l’ancienneté ; parfois elle décroit, souvent elle croit.

L'auteur

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Mai 052013
 

Le changement personnel :
INDIVIDU – PERSONNE – PERSONNALITÉ
(éclaircissements)

Changement personnel - Photo IndividuCet article sur le changement personnel veut éclairer les concepts d’individu, de personne, de personnage et de personnalité, afin de lever les (trop fréquentes) confusions d’interprétation courantes qui sont faites en la matière. Bien entendu, nous circonscrivons à quelques champs seulement l’apport des sources et des définitions ici présentes afin de faciliter la compréhension du sujet, à savoir : la sociologie, la philosophie et la psychosociologie.

 

Individu

Le changement : individu, personne, personnalité (éclaircissements)

Individu

Un individu est, étymologiquement, un « être considéré comme distinct par rapport à son espèce, un être humain par opposition à la collectivité, l’élément d’une collectivité ou d’un ensemble » En clair, l’individu serait circonscrit à sa forme, son corps.

Si nous considérions l’individu uniquement sous sa distinction biologique nous serions vite amenés à nous demander s’il était réservé à l’homme, alors que, même s’il présente dans sa structure les traces de son originalité comme ses empreintes digitales ou son code génétique, on peut trouver des singularités chez les végétaux, les minéraux, les animaux.
Alors, dans cette contingence, comment le corps, dans son apparence, a-t-il une signification ?

Changement personnel ISRI - Photo JodeletPour Denise Jodelet, le corps apparaît comme un médiateur du lien social : « on s’en préoccupe : 1) soit dans une perspective instrumentale de réussite et d’intégration sociale ; 2) soit pour répondre à des normes sociales de présentation ; 3) soit dans l’intention des autres. »(1)Jodelet, Denise, ss la dir. de Serge Moscovici, Psychologie sociale des relations à autrui, Nathan, coll. Fac, 2000, ss la dir. de Serge Moscovici, Psychologie sociale des relations à autrui, Nathan, coll. Fac, 2000, p.49

Changement personnel - Photo LeibnizPour Gottfried Wilhelm Leibniz, l’individu est unique et indivisible « il n’y a jamais dans la nature deux êtres qui soient parfaitement l’un comme l’autre et où il ne soit possible de trouver une différence interne, ou fondée sur une dénomination intrinsèque ». Ainsi, l’individu serait-il tout simplement ce au-delà de quoi on ne peut plus diviser, au moins sans être dénaturé ? Une monade, un atome au sens propre ?(2)La monadologie, Association des Bibliophiles Universels, août 1997

Changement personnel - Photo FischerDu côté de Gustave-Nicolas Fischer pour qui « l’être humain est un être relationnel car les relations définissent un aspect essentiel de son être social » la relation humaine l’emporte sur ce qui définit étymologiquement l’individu. Et dans ce cas, précisément, il nous faut aller chercher en dehors du biologique son originalité.(3)Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, 1996

Changement personnel - Photo CerteauDu côté de Michel de Certeau pour qui « l’homme ordinaire donne en représentation » c’est la manifestation par la production (la manière de parler, de s’habiller, d’exprimer l’art ou la culture par exemples), les conduites qui caractérisent l’homme.(4)L’invention du quotidien I, arts de faire, Gallimard 1990

Changement personnel - Photo DumontTout au début de Homo Hierarchicus, Louis Dumont(5)Dumont, Louis, Homo aequalis, 1976 et Essais sur l’individualisme, Coll. Esprit/Seuil, 1991 distingue deux sens au mot individu :

  1. l’homme particulier, empirique, non social et
  2. l’homme comme porteur de valeurs et valeur lui-même.

Si pour Louis Dumont l’individu est la « valeur suprême du monde moderne », d’autres l’affirment non seulement comme valeur mais aussi comme principe. Ce qu’il semble falloir entendre par principe c’est la volonté de l’homme à « fonder ses lois lui-même à partir de sa raison ».
Donc, l’individu s’affirmerait, à la fois, comme valeur parce qu’un homme vaut un homme (égalité) et comme principe parce-que seul l’homme peut être pour lui-même la source de ses normes et de ses lois (liberté). L’égalité versus la hiérarchie, la liberté versus la tradition.

Changement personnel - Photo RousseauEn son temps, le philosophe Jean-Jacques Rousseau avait tracé la voie avec le contrat social dans lequel il distinguait la liberté naturelle de la liberté véritable. La première comme liberté sans règle, la deuxième comme liberté civile où l’individu se soumettrait à des règles librement acceptées.(6)Rousseau, Jean-Jacques, Du contrat social ou principes du droit politique, in Œuvres complètes, T.III, Gallimard, coll. La Pléiade, 1964

Changement personnel - Photo EhrenbergLe sociologue Alain Ehrenberg actualise les propos de Rousseau en précisant que le « nouvel » individualisme, qui se caractérise par « la montée de la norme d’autonomie », engendre « une dépolitisation de la société […] puisqu’il [(l’individu)] poursuit égoïstement son bien-être dans une ambiance sentimentaliste faite de Restos du Cœur, de téléthons et d’actions humanitaires diverses »(7)Ehrenberg, Alain, L’individu incertain, Calmann-Lévy, coll. Pluriel, 1995.

Changement personnel - Photo Le BonMême si, en sens inverse, la position de Gustave Le Bon est catégorique : « la foule […] ravale l’individu dans sa mentalité comme dans son comportement ; elle le dépersonnalise, l’hypnotise et l’abrutit ; en outre, elle l’entraîne vers la violence »(8)Le Bon, Gustave, La psychologie des foules, 1895 in Maisonneuve, Jean, La psychologie sociale, Puf, coll. Que sais-je ?, 1998, p.5.

Changement personnel - Photo MayoPourtant, Elton Mayo, à la suite de sa participation à l’expérience de Hawthorne de 1927 à 1932, concluait que « l’homme ne peut être heureux qu’intégré au sein d’un groupe », suggérant par là « qu’il se passe quelque chose » dans ce groupe (Mayo tire les conclusions de son enquête dans deux petits ouvrages : Les Problèmes humains de la civilisation industrielle (1933), et Les Problèmes sociaux de la civilisation industrielle (1947).

Changement personnel ISRI - Photo Renaut

Pour Alain Renaut, l’individu moderne veut « s’approprier les normes et non plus les recevoir » . Il surimpose à cela l’obligation qu’il a d’assurer sa « responsabilité de sujet pratique [devant] se « penser » comme l’auteur de ses actes. »(9)Renaut, Alain, L’individu, Hatier, coll. Optiques, 1995, p.21-22 et 62

Changement personnel ISRI - Photo LévinasEmmanuel Lévinas avait déjà parlé d’une « subjectivité pratique » de responsabilité, d’éthique en tant que « la dignité de l’homme doit être placée dans l’ouverture à l’autre en tant qu’autrui » (p.61). Ce qui voudrait dire que la société est un concept théorique mental qui n’a aucune « responsabilité » ; seul l’individu est responsable de son acte. La responsabilité n’étant pas une notion négative ; elle est la connaissance des conséquences de l’acte. Chacun doit donc être conscient de ses actes, qu’il est engagé personnellement, et disposé à en assumer, seul, les conséquences.

Personne et personnage

Personne et personnage

La personne serait-elle tout simplement un être humain situé à une place sociale authentifiée ?
Dossier Changement Définition ISRI
Selon l’étymologie traditionnelle le terme de personne trouve sa source dans les « termes prosôpon (Προσψπον) et persona qui désignent d’abord, dans l’antiquité classique, le masque de théâtre »(10)Nédoncelle, Maurice, La réciprocité des consciences, Aubier, 1942.

  1. Personna : personne, du latin désignant le masque. Les masques étaient en nombre limités : soixante-seize, dont vingt-huit pour la tragédie. Ils correspondaient à des caractères fixes à partir desquels les spectateurs pouvaient s’attendre à des comportements ou à des attitudes déterminés. « La création littéraire exalte en outre sinon le « héros », du moins le « personnage ». Changement personnel ISRI - Photo MasquesLa persona de l’actant littéraire peut aller du plus simple (le masque ou le costume obligé de l’emploi théâtral) au plus complexe, dans le roman psychologique ou dans l’épanchement lyrique de la poésie. Mais chaque fois s’opère une sélection des traits de personnalité, des situations et des actions des personnages »(11)J. Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Panthéon Books, New York, 1949 in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998.

  2. « Le terme persona est lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire résonner, retentir, et désigne le masque de théâtre. […] Cette étymologie est généralement attribuée à Boèce (VIe s.). En réalité, elle est déjà attestée chez Aulu-Gelle, IIe siècle. Mais elle est fausse. Pour des raisons d’accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, la deuxième syllabe de personare est brève), il est impossible que persona dérive de personare. Au reste, on a découvert un mot étrusque, phersu, qui pourrait être l’amorce d’un persuna , changé bientôt en persona , et qui semble signifier masque. Cette explication, même probable, reste cependant discutée. »(12)Meyerson, Ignace, Problèmes de la personne, colloque du Centre de recherches de psychologie comparative, E.P.H.E., Viè section, Mouton, 1973)
    Changement personnel - Photo Maisonneuve
  3. Mais le terme persona, en se référant uniquement au masque, exerce seulement des fonctions équivoques de dissimulation de l’acteur mû en personnage. Comme le note Jean Maisonneuve : « le sujet peut être conduit à deux attitudes : 1) cacher consciemment à autrui, derrière une figure d’emprunt, ce qu’il est et fait réellement 2) Se cacher, surtout à soi-même, ce que l’on est ou ce que l’on craint d’être »(13)Maisonneuve, Jean, Introduction à la psychosociologie, coll. Le psychologue, Puf, 1985.

En fait, c’est par le glissement du masque gréco-romain au personnage représenté, puis du rôle à l’acteur, qui faisait ainsi passer de la fonction sur scène au jeu social mené par l’individu. Le masque a ainsi perdu de sa spécificité, c’est-à-dire, il est passé de la dissimulation directe, dans le sens se cacher physiquement, au paraître en devenant le « personnage ».

Autrement dit, « devant autrui […] nous devons produire une image conforme à ce qu’on attend de nous ; nous nous sentons « en représentation ». Aussi, est-ce souvent par l’adoption d’un personnage type que nous assumons notre rôle social ». C’est la raison pour laquelle, le personnage est distinct de l’individu puisqu’il « n’est pas exactement l’individu que nous sommes mais celui que nous voulons persuader aux autres que nous sommes. Ou encore, celui que les autres veulent nous persuader que nous sommes… Ces deux définitions se confondent pour nous constituer une façade sociale… Nous nous voyons d’abord comme autrui nous voit et nous veut ». C’est-à-dire, « 1) l’image de notre présentation aux autres ; 2) la conscience du jugement qu’ils portent sur nous et 3) les sentiments positifs ou négatifs qui en résultent ».

Pour Jean Maisonneuve, le personnage endossé : « n’est plus une catégorie officielle mais une visée personnelle ». Concluant que « c’est probablement ici le cas où le personnage a le plus de chances d’exprimer assez fidèlement la personne ».

En clair, outre le personnage comme masque (le paraître), il semble qu’il soit, à la fois, un devoir être, c’est-à-dire : le personnage comme rôle social permettant d’affronter la pression et la suggestion sociale ; et un veut être, autrement dit, la vocation comme source du personnage endossé. Dans ce cas, qu’est-ce qui fait son originalité, sa singularité, autrement dit, sa personnalité ?

Personnalité

Personnalité

Changement personnel - Photo DescartesLe cogito cartésien (PDF image ISRI), univers d’interrogations, a permis d’inventorier les richesses de l’ordre personnel et d’en disposer. Cela veut dire que ce qui est connu est transformé par le fait même qu’il est connu. En d’autres termes, pour René Descartes les choses ne sont qu’en tant que nous les pensons. Ainsi, a-t-il découvert le fondement de ses travaux, c’est-à-dire l’ego(14)Descartes, René, Discours de la méthode, quatrième partie, Méditations, La Pléiade, Gallimard, p.47-48.

A cela, il découle que la personne devient parfaitement un individu dans la mesure où elle prend conscience de sa personnalité. Ainsi, cette conscience semble d’abord distinguée sous son aspect physique : le corps principalement, comme nous l’avons vu au début de cet article.

Puis apparaîtrait la prise de conscience de notre personne à tous les moments de la vie. « La conscience est la capacité de situer l’ordre du possible par rapport au réel. En conséquence, l’homme, lorsqu’il se trouve à un certain niveau de vigilance, se situe par rapport à lui-même et prend conscience de soi. »(15)Corraze, Jacques, Encyclopædia Universalis Cd-Rom 98 à Personnalité. Cette prise de conscience semble être un aspect subjectif de la personnalité. Ce cheminement nous conduit à rechercher un aspect objectif de la personnalité.

Changement personnel - Photo La BruyèreJean de La Bruyère a donné le nom de caractères à l’ensemble des traits moraux particuliers qu’il a recueilli chez ses contemporains. Plus tard, d’autres ont essayé de classifier les principaux types de caractères et ont dénombré une cinquantaine de définitions du mot « personnalité ». Dans ces conditions, il nous apparait bien difficile de circonscrire un aspect objectif de la personnalité(16)La Bruyère, Jean (de), Les Caractères in Œuvres complètes, coll. La Pléiade, 1951.

Changement personnel - Photo BoudonCependant, nous dit Raymond Boudon, « il est possible d’en préciser le sens […] en examinant ses caractères les plus généraux et les plus permanents : l’individualité, l’autonomie, la stabilité ou consistance [(le personnage)], enfin, la spécificité des motivations »(17)Boudon, Raymond in Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998.

Les béhavioristes nous fournissent une définition des motivations : « [elles] sont des stimuli qui poussent à l’action et dont, le plus souvent, on observe les effets sans les saisir directement ». Cependant, « la motivation doit être comprise en tant que mise en question permanente de l’équilibre présent au nom d’un équilibre supérieur futur ».

Ainsi entendu, la personnalité « n’est pas une substance (un en-soi) […] elle est essentiellement un système de relation ». En ce sens, « la personnalité comme telle n’existe pas ; ce qui existe ce sont les réseaux de relations ».

Par ces deux aspects subjectifs et objectifs, ce que nous garderons c’est que la personnalité est en somme un ensemble des manières d’être d’un individu distinguant dans la personnalité « le moi comme système d’attitudes communes intériorisées, de réponses conformes aux situations sociales et le je, principe spontané et original ».

Pour le dire autrement, il n’y aurait ni soi, ni conscience de soi, ni communication en dehors de la société, c’est-à-dire en dehors d’une structure qui s’établit à travers un processus dynamique d’actes sociaux communicatifs, à travers des échanges entre des personnes qui sont mutuellement orientées les unes vers les autres. Par un mot : en interrelation.

Conclusion : individu et changement

Conclusion : individu et changement

Dossier changement choisir sa psy-thérapie ISRI

Le concept d’individu met en avant un être qui a besoin d’échanger, de s’exprimer. Il ne peut pas être pensé comme quelqu’un d’isolé tel Robinson Crusœ ou une monade, c’est-à-dire, fermé sur lui-même, mais plutôt en tant qu’individu-participant chargé d’intentions. Autrement dit, l’individu est un être en interaction sociale et en représentation (personnage).

Le personnage joué par l’individu semble donc être « l’instrument » de présentation de soi aux autres. Le personnage se distingue de l’individu en tant qu’il est construction psychosociale de la personne.

Néanmoins, accéder à un statut d’individu n’exergue pas l’individualisme. Au contraire, il faut bien entendre que cette personne/individu (non monade/Leibnitz) prend conscience de son individualité profonde (individuation/Jung). Démarche de conscientisation indispensable préalable permettant, ensuite, d’échanger et de s’enrichir auprès des autres personnes/individus.

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Jan 272012
 

Soulairol Jean-Marc ISRI

Cet article « Réveiller le potentiel humain pour réussir le changement » aborde la notion polysémique d’individu afin de permettre à tous les responsables des Ressources Humaines de comprendre l’incontournable obligation qu’ils ont de considérer le potentiel humain de leur entreprise afin de réussir le changement.

Réveiller le potentiel humain pour réussir le changement

Pour réussir les changements au sein de votre entreprise vous devrez tenir compte de l’éveil du potentiel de vos collaborateurs. Pour y parvenir, vous devrez voir et comprendre vos collaborateurs en tant qu’ils sont des individus et des personnes ; c’est incontournable. Dans cet article, j’aborde ces concepts en tant qu’ils sont des points de réflexion de base. D’abord, repérons-nous :

Selon l’étymologie traditionnelle le terme de personne trouve son origine dans les « termes ‘prosôpon’ et ‘persona’ qui désignent, dans l’antiquité classique, le masque de théâtre. » (Nédoncelle Maurice, La réciprocité des consciences, Aubier, 1942).

Ignace Meyerson est plus critique : « Le terme « persona » est lui-même dérivé du verbe « personare », qui veut dire résonner, retentir, et désigne le masque de théâtre. […] Cette étymologie est généralement attribuée à Boèce (VIe s.). En réalité, elle est déjà attestée chez Aulu-Gelle, IIe siècle. Mais elle est fausse. Pour des raisons d’accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, celle de ‘personare’ est brève), il est impossible que ‘persona’ dérive de « personare ». » (Meyerson, Ignace, Problèmes de la personne, colloque du Centre de recherches de psychologie comparative, E.P.H.E., Mouton, 1973).

Quant à Encyclopaedia Universalis 1998, ‘persona’ signifie ‘personne’, du latin désignant le masque (de théâtre). Pour la petite histoire, les masques étaient en nombre limités : soixante-seize, dont vingt-huit pour la tragédie. Ils correspondaient à des caractères fixes à partir desquels les spectateurs pouvaient s’attendre à des comportements ou à des attitudes déterminés.

C’est par le glissement du masque gréco-romain au personnage représenté, puis du rôle à l’acteur, qui faisait ainsi passer de la dissimulation directe (se cacher physiquement), au paraître en devenant le ‘personnage’.

Mais, comment les comportements et les attitudes de vos collaborateurs doivent évoluer pour accepter, voire participer au changement ? Quels sentiments (positifs ou négatifs) en résulteront-ils, permettant d’affronter la pression ?

Le cogito cartésien, univers d’interrogations, a permis d’inventorier les richesses de l’ordre personnel et d’en disposer. Cela veut dire que ce qui est connu est transformé par le fait même qu’il est connu. En d’autres termes, pour Descartes, les choses ne sont qu’en tant que nous les pensons. Ainsi, a-t-il découvert le fondement de ses travaux, c’est-à-dire l’ego.

A cela, il découle que les collaborateurs, en tant que personnes, deviennent des individus dans la mesure où ils prendront conscience de leur personnalité. Ce qui nous amène à aborder le phénomène de changement sous l’angle de l’engagement et de la motivation, et, principalement, de la morale et de l’éthique.

Pour les béhavioristes les motivations : « sont des stimuli qui poussent à l’action et dont, le plus souvent, on observe les effets sans les saisir directement. » Cependant, « la motivation doit être comprise en tant que mise en question permanente de l’équilibre présent au nom d’un équilibre supérieur futur. » (Corraze, Jacques). Ceci a fondé les conceptions d’Abraham Maslow dont les travaux attribuent à l’homme une force de développement intrinsèque, une puissance d’auto actualisation.

Par ces aspects, nous garderons que la personnalité est en somme un ensemble des manières d’être d’un individu. Pour le dire autrement, il n’y aurait ni soi, ni conscience de soi, ni communication en dehors d’une structure (en l’occurrence, votre entreprise) qui s’établit à travers un processus dynamique d’actes sociaux communicatifs, à travers des échanges entre des personnes (vos collaborateurs) qui sont mutuellement orientées les unes vers les autres ; par un mot : en interrelation.

En définitive, ce qu’il vous faut noter, est la piste qui s’ouvre pour comprendre comment vos collaborateurs peuvent changer, évoluer pour assumer des interactions de participation, prendre des responsabilités ou des initiatives et comprendre aussi comment leurs traits de caractère leur permettront de s’engager, de se motiver, d’échanger, par exemple.

Cette piste, consistant à rechercher le sentiment d’appartenance qu’ont vos collaborateurs, révèlera leur identité cachée derrière un « masque ». Bref, comment la « personne-collaborateur » est-elle pensée par votre collaborateur en tant que « personnage-collaborateur » et comment ce « personnage-collaborateur » joue-t-il un rôle dans votre entreprise ? Cela a-t-il un sens ? Ce sens prend-il forme dans l’environnement de votre structure ? Représente-t-il un « lieu insolite ».

Erving Goffman nous aide : « les applications particulières de l’art de manipuler les impressions, […]grâce auquel l’individu exerce un contrôle stratégique sur les images de lui-même et de ses productions que les autres glanent à son entour. » (Goffman, Erving, Stigmate, Les usages sociaux des handicaps, Minuit, 1975, p.152).

Vos collaborateurs, en tant qu’individus, peuvent donc être compris en tant qu’êtres relationnels à partir de ce qu’ils veulent être ; mais également, en tant qu’êtres en représentations, c’est-à-dire des personnages à partir de ce qu’ils doivent être.

En conséquence, vous devez connaître comment s’y prennent vos collaborateurs dans leurs relations aux autres. Et, vous devrez vous poser cette question : leurs aspirations peuvent-elles concorder avec ce que j’attends de la configuration globale de mon organisation ?

Si nous nous référons à ce qui précède, la participation de vos collaborateurs se caractérisera par le désir de participer (voire par les freins et les résistances produits), les attentes, l’intensification du sentiment d’identification et d’appartenance à votre entreprise, etc. que chacun d’eux pourra satisfaire.

« L’appartenance à » étant le point d’orgue, puisqu’on peut supposer que la démission ou le licenciement constitue l’ultime sanction contre les réfractaires, les résistants. Bref, vos collaborateurs attendent des liens à partir desquels ils peuvent exercer un échange et une représentation. Ces liens pouvant être les valeurs, l’histoire ou l’éthique de votre entreprise parce-que l’individu est un être de besoin qui n’existe que parce qu’il vit en société avec d’autres individus. Inversement, la société n’existe que dans la mesure où les individus qui la composent existent.

C’est chez Norbert Elias et la notion de configuration, ainsi que chez Michel de Certeau et la notion « d’art de faire », qu’il réside des pistes…

Directeurs, chefs de services, managers et autres responsables des Ressources Humaines, etc. vous n’avez plus le choix : vous devez désormais tenir compte du potentiel humain de vos collaborateurs pour réussir le changement et les évolutions de votre entreprise, sinon, c’est l’éviction par la concurrence !

Publiée le 17.05.2013 sur lesEchos.fr

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