Mar 022015
 

Rozenberg Michel - Article VUCA - Image 3BIAIS COGNITIFS,
manipulations et monde VUCA

L’acronyme VUCA, qui signifie Volatility Uncertainty Complexity Ambiguity(1)En français : volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté, est utilisé par de plus en plus de leaders et d’experts pour qualifier le type de marché dans lequel nous évoluons. Ce qu’il représente constitue un défi présent et futur pour nos entreprises, leurs leaders et leurs collaborateurs.

Prendre de bonnes décisions  n’a jamais été chose aisée. Il en dépend un accès aux résultats d’une entreprise, d’une équipe, voire d’une personne, une opportunité d’améliorer les relations entre individus et de se sentir en phase avec ses valeurs et celles de la société.

Nous avons été habitués ces dernières décennies à une accélération constante de nombreux éléments. La puissance des processeurs a évolué de façon exponentielle avec comme conséquence un accroissement substantiel des capacités informatiques et en télécommunication, pour ne citer que ces deux domaines, la fluctuation incessante du cours des actions, sur les marchés boursiers, la tendance de nos jeunes (générations Y et bientôt Z) à favoriser l’instantanéité (Texto, messageries instantanées, Facebook, Twitter…), le flux toujours grandissant d’informations déversées par les médias et les médias sociaux. Conclusion, nous sommes bel et bien entrés dans l’ère VUCA.

Développé par l’armée américaine dans le milieu des années 1990, ce concept avait pour but d’assurer la sécurité du territoire tout en évitant d’exposer les militaires, les ressortissants et les civils à des conflits sur le terrain.

Les interventions se devaient d’être ciblées et rapides pour limiter les dommages collatéraux et l’enlisement des troupes. Tout était question de décisions rapides dans un monde incertain et en mutation continue.

Dans nos sociétés, les leaders commencent à comprendre qu’ils doivent et devront prendre de plus en plus de décisions en des laps de temps toujours plus courts, dans des conditions d’incertitude et de volatilité grandissantes.

La nécessité de modifier les stratégies en cours de route, rendant toute planification compliquée et d’analyser de nombreuses variables, deviendra essentielle pour découvrir de nouvelles opportunités, de nouveaux chemins.

Rozenberg Michel - Article VUCA - Image 4Si les leaders d’aujourd’hui et de demain ne se remettent pas en question, il arrivera un moment ou, poussés à prendre une décision rapide dans une situation d’urgence, ils commettront des erreurs de jugement et génèreront des décisions imparfaites, voire mauvaises, avec des conséquences pour toutes les couches de la société.

Or, nous, les êtres humains, nous sommes soumis en permanence à une multitude de biais cognitifs, ces raccourcis de l’esprit qui nous font voir le monde sous un jour pas nécessairement réaliste, nous font prendre des décisions erronées et générer des actions inappropriées. Bref, ils nous rendent moins rationnels.

Prenons l’exemple du phénomène de l’illusion de transparence qui fait croire à un acteur d’une négociation que ses interlocuteurs lisent en lui comme dans un livre, ce qui provoque en lui une volonté de se fermer pendant les discussions. Ce faisant, il projette sur les autres le sentiment de fermeture et les incite à redoubler d’effort pour obtenir de l’information, voire à user d’agressivité. La prophétie auto-réalisatrice, un autre piège de l’esprit peut alors prendre le relais pour envoyer un message de confirmation de la nécessité de fermeture, ce qui engendrera une confirmation de cette approche (« javais bien raison de garder linformation pour moi, la preuve, ils font tout pour essayer de me larracher ».)

Rozenberg Michel - Article VUCA - Image 1Et même si nous connaissions tous les quelques centaines de biais cognitifs qui sont répertoriés nous tomberions tout de même dans leurs pièges, la nature humaine est ainsi faite !

Le biais d’ancrage très utilisé en négociation pour ancrer la psychologie d’autres négociations dans notre système de données ; le biais de cadrage, essentiel pour comprendre comment présenter nos projets et nos offres ; le biais de confirmation d’hypothèse qui nous pousse à trouver ce qui démontre nos thèses, l’illusion de contrôle (en) qui provoque des décisions irrationnelles, l’oubli de la fréquence de base,  qui nous fait oublier les statistiques… en sont quelques exemples importants.

Démontrer que même en connaissant tous les biais cognitifs ne nous permettra pas de les éviter est assez simple. Posez-vous la question suivante : êtes-vous un conducteur parmi les meilleurs de votre ville, au-dessus de la moyenne, en dessous de la moyenne ou parmi les plus mauvais ? Vous avez répondu ?

Mon expérience sur le terrain, m’a permis de comprendre que 80 à 85 % des personnes interrogées choisiront l’item : “meilleur que la moyenne » ou bien : « parmi les meilleurs”.

Le plus amusant est que ce genre de question est courante dans le métier d’intervenant et génère presque toujours des réponses semblables. Donc, je pourrais en conclure que je ne rencontre que d’excellents conducteurs. Ce serait surprenant si je ne connaissais pas le biais cognitif appelé excès de confiance. Etonnant non ?

Et ceci est valable dans bien d’autres domaines : la capacité à faire des calculs, à comprendre le problème des autres, à résoudre des énigmes… Faites le tour de vos amis et posezleur la question… !

Ce qui signifie que nous sommes confrontés à un problème : si tout le monde est meilleur que la moyenne, où se trouve cette dernière ?

Maintenant que vous avez compris, avez-vous changé d’avis au sujet de votre conduite ? Non, bien sûr !

Ce n’est donc pas en nous que nous pourrons trouver les ressources qui permettront de passer à côté des pièges tendus par notre esprit mais grâce aux autres que nous pouvons arriver à les contourner.

De la même manière, nous sommes soumis quotidiennement à de multiples influences. Plus que jamais, nous vivons dans un monde où les autres veulent continuellement nous faire faire des choses que nous ne ferions pas spontanément, entre autres choses parce que le pouvoir hiérarchique n’est détenu que par une poignée de personnes tandis que tout le monde doit arriver à persuader tout le monde. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’être humain ait inventé d’autres stratégies indirectes, souvent utilisées sans accord et sans que les autres n’en soient conscients.

Dans ce faisceau d’influences auxquelles nous sommes soumis au quotidien, comment faire la différence entre ce qui est bienveillant et ce qui ne l’est pas,  ce qui nous est bénéfique et ce qui nous nuit (ou ne nous apporte rien), ce qui améliore les situations et ce qui les aggrave ?

Et nous, comment nous y prenons-nous pour parvenir à nos fins ? Et si nous comprenions mieux comment les marqueteurs, les publicitaires, les démarcheurs, nos patrons, nos collègues, nos voisins et même les membres de notre famille s’y prennent pour nous faire agir, nous pousser à choisir, à décider ?

S’informer, faire preuve d’esprit critique et utiliser les outils solides de l’assertivité sont une vraie réponse à la manipulation.

Rozenberg Michel - Article VUCA - Image 2Vivre dans un monde VUCA
+ être soumis à nos biais cognitifs
+ être sujet à des manipulations
= difficultés à prendre des décisions de qualités.

Il serait impensable d’en rester là !

Nous devons trouver des “partenaires fiables”, des personnes impliquées dans les décisions à prendre et à qui nous confierons des missions spécifiques ayant pour objectif d’ouvrir les débats et de  »challenger » nos informations et nos idées, et de “nouveaux systèmes de fonctionnement” qui permettront de mettre en place une stratégie d’aide à la décision et nous aideront à devenir les nouveaux leaders du monde VUCA.

Parmi ces systèmes, figureront l’approche systématique “avocat du diable” (au sens des 6 chapeaux de Bono – Le chapeau noir) qui consistera à donner explicitement ce rôle à des personnes dans le seul but de “challenger” tout projet, tout plan, toute décision. L’approche Pre-Mortem, comme expliquée par Gary Klein dans son livre “The Power of Intuition”, qui permet de générer des idées nouvelles avant la prise de décision constituera une autre voie.

Ne nous leurrons pas : nous devrons y passer. Alors pourquoi pas maintenant ?

NB : Dans le prochain article, il est question plus explicitement de certaines de ces solutions.

L'auteur

 

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