Juin 292014
 

Dossier ISRI FRANCELe changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
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L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE :
LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT

Ce dernier chapitre clos la deuxième partie sur le changement personnel. Ainsi, nous avons déblayé jusqu’à présent les principaux concepts directement liés au salarié en tant qu’individu pour mettre en exergue ses tactiques et stratégies d’adhésion ou de résistance pour conclure que le salarié était un inventeur de manières de faire. C’est cet « art de faire » du salarié dans le changement organisationnel que nous allons voir dans ce cinquième chapitre ; précisément quels jeux, tactiques et stratégies, tours, détours et contours il adopte pour assouvir ses besoins et ses aspirations. A partir de là, nous serons fins prêts pour élaborer un guide pratico-pratique, immédiatement applicable par le responsable du changement pour bien conduire et réussir le changement. Ce sera l’objet de la troisième et dernière partie de ce dossier.


L'usage de manières de faire : la quintessence du changement


Changement personnel ISRI - photo personne sur un échiquierDEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 5 sur 5

L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE : LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE FlècheL’usage de manières de faire : la quintessence du changement

Si la présentation de soi suggère des manières de faire consistant en des manières de se présenter alors user de présentations de soi doit pouvoir révéler l’existence d’une logique de penser propre au salarié constitutive de ses intentions.

Ainsi, l’usage renvoie à l’utilisation des configurations (à travers diverses manières de faire, de penser, d’être, …) ; autrement dit, des manières de se présenter, se représenter et autres comportements et attitudes (afficher une apparence, investir physiquement les lieux, mettre en scène une identité positive, constituer un réseau de solidarité, …) C’est à partir des représentations du salarié-usager que nous pouvons repérer cet usage.

Pour le dire autrement, l’interprétation des représentations des configurations et les rôles endossés pour interagir doivent être complétés par l’interprétation de ce que le salarié « fabrique », « bricole », « braconne » pendant ces interactions.

En clair, après avoir montré l’existence de présentations de soi spécifiques aux circonstances du quotidien de l’organisation, il va s’agir d’aborder maintenant en quoi l’individu-salarié peut en « détourner » la logique pour son propre compte. Trouver le sens intentionnel de ces manières de faire nous conduit à mettre son changement au cœur de ces mécanismes.

Certeau dans « l’invention du quotidien » pose l’existence de deux mondes, celui de la PRODUCTION et celui de la CONSOMMATION ou des usages perçues comme des pratiques inventives et créatives, qui participent de l’invention du quotidien(1)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII et suiv..

Il conçoit la consommation comme une « fabrication », une « poïétique » rusée, dispersée, silencieuse, quasi invisible qui s’oppose ou négocie avec le monde de la production dominante. Il cherche « à se placer dans la perspective de l’énonciation [qui] met en jeu une appropriation [,] instaure un présent relatif à un moment et à un lieu [et] pose un contrat avec l’autre (l’interlocuteur) dans un réseau de places et de relations. »(2)Certeau, ib., p.38-39.

A partir de nos missions dans les entreprises, nous avons découvert les modalités de ces quatre caractéristiques de l’usage (se placer, s’approprier, s’inscrire dans des relations et se situer dans le temps) ; ce qui va nous permettre de comprendre le changement à partir des opérations bricoleuses (usages) qui se construisent et se soustraient aux règles imposées et à l’influence des configurations.1) « Se faire une place »

1) L'espace : un lieu pratiqué

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche1) L’espace : un lieu pratiqué

« L’espace est un lieu pratiqué »(3)Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.173. souligne Michel de Certeau, en associant la stabilité au lieu et la mobilité à l’espace.

Dans la configuration, le salarié exprime sa personnalité professionnelles et personnelle, il élabore sa vision du changement organisationnel, puis l’élargit au travers de prises de responsabilités en agissant (participation, investissement, rebellion, résistance…), par exemple ou en agissant pas ; ce dernier point étant, tout de même, une action.

Son expérience du lieu s’affine avec ses mois de participation pour finir par coller à la réalité du projet, à l’espace. Pour lui, cette expérience constitue des repères indispensables à l’aménagement de ses participations (ou résistances) et par là de ses manières de faire (se présenter, d’être, …), à fortiori pour celui qui est en ruptures avec le changement organisationnel et, à fortiori, s’il manquait déjà de repères par ailleurs, socialement ou filialement, par exemple.

Ce qui suggère l’appropriation de l’espace dans lequel il va (ré)inventer ses participations comme un remède à ses ruptures. Le rôle de l’imaginaire (une idéalisation, par exemple découlant de ses propres représentations est ici important.

2) S'approprier l'espace : une manière de faire individuelle

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche2) S’approprier l’espace : une manière de faire individuelle

Ces attitudes d’appropriation de l’espace sont constitutives d’un espace personnel élargi au sein de l’organisation. Ainsi, il peut exprimer sa personnalité, s’approprier l’espace configurationnel de l’entreprise.

La question de l’usage de l’espace revient à saisir ce que celui-ci représente pour le salarié. Notre réflexion précédente avance l’hypothèse que les salariés s’engagent avec la perspective de réussir (leurs besoins-aspirations personnels mais aussi le changement organisationnel) rendant alors acceptables les efforts produits (l’usage de présentations de soi et autres manières de faire) et le risque de ne pas réussir.

Dans cette perspective nous déterminons une réciprocité : il n’y a pas de manières de faire sans l’existence de cet espace récipiendaire qui fonctionne comme polarisation et cadre préparateur aux changements.

A partir de là, la question à laquelle il nous est donné de répondre est : comment l’appropriation de cet espace(4)Plus précisément de ce lieu en tant que non-lieu qu’est finalement la configuration. par un espace personnel élargi peut-il être l’enjeu de ce qui est rendu visible (la manière de faire, de se présenter, etc.) ainsi que le souligne Certeau dans « L’invention du quotidien« (5)« L’écart entre les usages inventés et ceux constatés en posant l’existence de deux mondes, celui de la production, et de l’autre celui de la consommation ou des usages, perçus comme des pratiques inventives et créatives ». Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit. ?

3) S'inscrire dans une relation : stratégies et tactiques

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche3) S’inscrire dans des relations : stratégies et tactiques

En fait, l’appropriation de cet espace autorise le salarié à jouer des configurations selon des possibles de profits. Précisément, il transforme non seulement ses relations par rapport à ce qu’il a vécu, mais également ses présentations de soi ; il se place autrement face au projet de changement organisationnel pour devenir auteur, inventeur, créateur.

L’appropriation de l’espace se situe donc dans une sorte de mise en usage de cet espace pour espérer réaliser ses besoins-aspirations. Les usages constitués à l’intérieur des interactions prennent place et produisent des manières de faire que le salarié mobilise (présentation de soi, par exemple) lorsqu’il est en contact avec une configuration.

En clair, la configuration de l’organisation(6)(ou du changement organisationnel, ou de toute autre groupe comme le service, l’équipe, etc.) offre un cadre interrelationnel ; son usage permet son existence en tant que cadre favorisant les changements ; et les manières de faire l’optimisent par les changements mêmes. Pour ce faire, le salarié investit dans la configuration selon deux types d’opérations : les stratégies et les tactiques.

Avant d’aller plus loin, le lecteur aura tout avantage de lire ou relire l’article ISRI précédemment paru sur les manières de faire du salarié :

Changement personnel ISRI - Photo Echiquier
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire


Les stratégies

Changement personnel ISRI - Photo Echiquier TactiqueLorsque le salarié s’approprie (s’empare, use) l’espace par une présentation de soi (par exemple : participations, engagements, comportements…) il calcule les rapports de forces en jeux pour s’en servir de base à une gestion de celle-ci dans ses relations. Il joue, il ruse, il détourne la configuration et par là, les jeux, les ruses, les détournements des autres selon, par exemple, un style propre.

Dans cette logique du jeu de la ruse, du détournement, s’installe un rapport de dépendance entre ce calcul et cette gestion en même temps qu’elle dégage une marge de liberté ; en l’occurrence, le choix du style à employer.

Il va user ainsi de manières spécifiques de se présenter, appropriées à la circonstance, tirées de ses intentions et qui révèlent un lieu circonscrit comme un propre (Certeau).

Ce lieu propre est le lieu de ses intentions. Quand un salarié choisit une stratégie, ses jeux lui sont directement associés par un ensemble de résultats qui restent possibles compte tenu de toutes les stratégies dont disposent les autres salariés. Ainsi, il déploiera tous ses efforts pour réaliser ses motivations, ses besoins-aspirations, lui permettant de se distancer de ses ruptures, voire les cicatriser.

Son intention (que nous traduirons, ici, comme un but à réaliser) sera, dès lors, de veiller à réduire les éventuelles tensions au sein de son groupe ou, au contraire, les amplifier selon la finalité recherchée. Il donne un sens à ses intentions.

Cet usage de manières de faire, ses stratégies, autorise un degré de sécurité relatif à chacune d’entre-elles. Il s’intéressera alors à celles qui lui assurent le résultat le meilleur. Il s’assure ainsi et autant qu’il le peut contre le pire pour lui ; c’est-à-dire contre une contradiction des autres au sein de son groupe ou, plus largement, de l’organisation toute entière.

Pour y parvenir, il définit préalablement (consciemment ou pas) un point d’équilibre entre les meilleures réponses à la configuration. En résumé, le salarié s’approprie, se réapproprie, s’adapte, ruse, joue, détourne constamment. Bref, il change continuellement à l’endroit ou à l’encontre du changement organisationnel.

Les tactiques

Changement personnel ISRI - Photo TactiqueLorsque le salarié exploite (s’empare, use) de la configuration dans une situation relationnelle immédiate, ou lorsqu’il n’a pas le choix, il va chercher soit à tirer profit des forces existantes en leur temps opportun, soit les laisser jouer à son profit par des manières de se présenter, immédiates et circonstancielles. Il saisit ainsi l’occasion selon un art de faire des coups, une tactique qui signifie l’absence de propre (Certeau).

Les tactiques du salarié tentent ainsi de répondre aux besoins et aux préoccupations personnelles de l’heure mais restent relatives aux possibilités offertes par les circonstances et n’obéit pas à la loi du lieu, de la configuration, de la contingence. Elle est manipulation (forme d’usage) de l’espace dans l’immédiateté.

Autrement dit, le salarié fait preuve de créativité et d’invention en produisant des coups instantanés dans ses présentations de soi pour déjouer le jeu des autres. C’est ici que s’éveille son potentiel !

Certeau précise comment, devant les multiples détails de la vie quotidienne, les tactiques, engendrent une activité débordante : « il y a mille façons de jouer et de déjouer le jeu de l’autre, c’est-à-dire l’espace constitué par d’autres et qui caractérisent l’activité tenace, subtile, résistante, de groupes qui, faute d’avoir un propre, doivent se débrouiller dans un réseau de forces et de représentations établies. »

Un exemple de stratégie incluant des tactiques

Changement personnel ISRI - Photo Exemple TactiqueAinsi que nous venons de le souligner, le salarié trouve des façons de faire, des moyens de déjouer ou de composer avec la configuration pour arriver à ses fins.

Ce qui transparaît de nos missions sur le terrain c’est la capacité du salarié à personnaliser les usages de ses fonctions à des fins qui lui semblent le plus profitable, indépendamment du dessein initial de l’objet, c’est-à-dire indépendamment du but pour lequel il est à son poste.

En fait, il s’agit ici de choix, de sélections (de détournement stratégique) dans la gamme des possibilités offertes par l’organisation, pour tenter de répondre aux besoins et aspirations personnelles.

Ainsi, le salarié s’approprie un espace qui lui permet, en tant qu’usager, de jouer sur l’objet de sa fonction et, plus largement, de l’organisation ou de son groupe (équipe, bureau, service, agence…), tout en se passant des codes imposés par ces derniers (le corps de métier, par exemple), ou en tenant compte uniquement de ceux d’entre eux qui lui sont utiles dans la réalisation de ses propres objectifs. Ce que nous résumons par le tableau suivant :

Usage de la configuration
par les salariés
Configuration
(objet / mission)
Configuration
(étiquette)
Salarié
(besoins-aspirations équivalents
à ceux de la configuration
)
Salarié actif utilisation par les salariés
en tant que fin en soi
Salarié
(besoins-aspirations différents
de ceux de la configuration
)
Salarié actif si intérêt
sinon inactif
Utilisation par les salariés
en tant qu’outil


Ainsi, les salariés détournent parfois les outils, les utilisent à leur manière, avec leur logique, une logique de la ruse. Cette logique, « qui composent, à la limite, le réseau d’une antidiscipline », subvertie, du dedans pour en faire autre chose. « Alors, seulement on peut apprécier l’écart ou la similitude entre la production de l’image et la production secondaire qui se cache dans les procès de son utilisation. »(7)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII. Leur mode d’emploi, se manifestant avec suffisamment de récurrence, correspond à des intentions, des préméditations.

En somme, face aux modes d’emplois prescrits par l’organisation, les salariés tendent à proposer des détournements de l’outil, des déviances de l’objet et des variantes de la mission, pour changer. Le sens donné à cet usage de l’organisation fait référence aux représentations et aux valeurs qui s’investissent dans l’usage de manières de faire.

4) Se situer dans le temps

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche4) Se situer dans le temps

En fait, nous venons d’interpréter les usages en fonction des moments d’investigations que les salariés privilégient (appropriation par des stratégies, formation des usages et inventivité par des tactiques).

Pour résumer, les stratégies des salariés (déterminant un propre) sont une « victoire du lieu sur le temps »(8)Certeau, M. (de), L’invention…, ib., p.XLVII.. En effet, elles servent de base à une gestion de leurs relations ; c’est-à-dire, sont un véritable terreau de capitalisation des avantages permettant leur réutilisation.

Alors que la tactique dépend du temps parce qu’elle est immédiateté. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. Le salarié use de l’occasion.

La fréquence d’usage de tactiques et stratégies dans le temps nous permet de circonscrire les données sur les changements. Nous avons relevé sur le terrain qu’elles pouvaient être déstabilisées puis recomposées sous d’autres formes conduisant à une plus grande planification du temps. Ainsi, nous pouvons rendre-compte de la façon dont les salariés usent des configurations dans des temporalités spécifiques aux manières de faire.

Tours et détours : contours du changement

Tours et détours : contours du changement

Changement personnel ISRI- Photo Faire le pointRésumons-nous. La configuration en tant qu’offreuse de règles (c’est-à-dire une sorte de conditionnement, même si elle peut être mutuellement construite entre les salaréis au sein d’un groupe) conditionne le salarié selon une marge de liberté qui lui reste propre : ses intentions.

Les interactions entre l’offre et son utilisation (tactiques et stratégies) renvoient aux représentations (par exemples, sa dimension symbolique, les différentes images développées) du salarié.

La figure de celui-ci, rusé, subtil, bricoleur, capable de créer ses propres usages, apparaît comme celle d’un individu actif de son changement. Ses manières de se présenter (comportements, attitudes, …) répondent aux propositions de la configuration dans l’intention de se l’approprier et par là se donner quelques chances de réaliser ses besoins-aspirations.

Toutefois, la marge de manœuvre de ses manières de faire est limitée à la zone définie par toutes les manières de faire des autres salariés, réduisant sa marge de liberté et de pouvoir dont il est détenteur à un moment.

Autrement dit, l’appropriation de l’espace de la configuration permet de la comprendre comme un processus de création de sens, dans et par l’usage, dans toute sa dimension sociale. L’usage a ainsi une épaisseur socioprofessionnelle.

Dans cette perspective, l’usage fait partie intégrante des manières de se présenter et autres manières de faire, il vient s’y intégrer en même temps qu’il les transforme et transforme, simultanément, l’état du salarié ; c’est-à-dire, caractérise son changement.

Prenons un exemple. Nous avons parlé, plus haut, de style vu en tant que manière de se présenter ; l’interpréter, c’est interpréter un salarié qui a trouvé sa manière de dire(9)Ce qui nous amène, à énoncer une définition du style, celle de Greimas : « Le style spécifie « une structure linguistique qui manifeste sur le plan symbolique (…) la manière d’être au monde fondamentale d’un homme » » (Greimas, Aljirdas-Julien, Linguistique statistique et linguistique structurale in Le Français moderne, 1962, p.245). par une expressivité propre (manière de faire). C’est un art de faire, un savoir-faire pour comprendre, se distancer, faire le point, exister, se reconnaître, acquérir une identité, échanger, travailler sur soi, donner à être écouté, élaborer une pensée, évoluer, se dégager, se transformer voire se transcender, se sublimer et par là-même changer.

En effet, lorsque cette expressivité est authentique et tombe juste, son expression par une présentation de soi spécifique devient prégnante et porteuse pour le salarié ; il change en ce sens qu’il œuvre pour réaliser ses besoins-aspirations. Certeau parlait déjà d’une esthétique du savoir par un savoir-faire(10)« Le « retour » de ces pratiques dans la narration […] se rattache à un phénomène plus large, et historiquement moins déterminé, qu’on pourrait désigner comme une esthétisation du savoir impliqué par le savoir-faire », Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.110..

Ainsi, le style représente l’espace de ce que le salarié éprouve par rapport à ce qui est ou qui doit être à un moment donné. Les bénéfices sont donc tant au plan du savoir personnel que de la personne même. Il n’est plus tout à fait le même qu’avant, il évolue, il change en jouant de la configuration.

Ce qu’il est intéressant de voir finalement c’est que le salarié développe une créativité immédiate ou réfléchie (tactique ou stratégie) pour s’adapter aux situations et arriver à ses fins, répondre à ses attentes. Ce sont des temps d’ouverture à une socialisation (avec l’autre), porteuse d’autodidaxie (expérience-connaissance).

La façon d’utiliser la configuration est au fond tributaire de la façon d’user de manières de faire en tant que processus de socialisation propre à chaque salarié ; elles-même tributaire des différentes histoires et des règles propres des configurations à la fois modelées et modelantes. Si l’on considère qu’il peut trouver là une distance avec ses ruptures alors il change profondément, intérieurement, intrinsèquement.

Par cette autodidaxie, il acquiert de nouvelles manières de penser et d’agir selon un espace-temps de transition plus ou moins long : son espace personnel élargi. Elle constitue donc un mode d’apprentissage qu’il anime comme une ressource en quelque sorte dès qu’il est, par exemple, contraint d’inventer des solutions inédites à un problème particulier. Son changement nous est par là rendu intelligible.

La part de l'autre

La part de l’autre

Nous sommes arrivé au point de pouvoir rassembler un certain nombre d’éléments et sceller notre dossier pour souligner avec force un autre sens : la part de l’autre dans le changement.

A retenir ISRICe que nous avons interprété là est de l’ordre d’une mutation de fond individuelle, d’une singularité même si elle n’échappe pas à une certaine régularité ou peut être comprise par une loi. Sachant que l’expérience se soutient de généralités, de lois, qu’elle dépasse l’un pour toucher l’ensemble.

Dans nos exemples, il peut y avoir une sorte de ressemblance mais pas d’identité ; l’expérience (et son énonciation, usage de l’expérience, manière de faire) reste une singularité. C’est à partir d’elle que le salarié invente !

Bref, les manières de faire montrent un rapport intersubjectif en actes mais une singularité de l’expérience ; une similitude avec le changement organisationnel mais une multiplicité de coups joués singuliers. Une singularité qu’il nous faut donc entendre comme une construction par la pluralité. Ce qui témoigne de l’inscription du salarié dans un contexte socioprofessionnel configurationnel indispensable à la préparation de son changement.

Pour le salarié user de manières de faire revient donc à s’engager de manière singulière dans une pluralité de manières de faire. En effet, lors de nos missions, dans les énoncés, comme dans leurs énonciations, cela se marque par un « je » qui s’assume comme auteur propre et singulier.

Entre l’énoncé et l’énonciation, un lien. Ce lien est l’usage de manières de faire qui désigne la place que va occuper le salarié et où le singulier touche au général.

Cette place, outre le fait qu’elle soit au centre de sa construction, a la particularité de rencontrer un autre (un autre je) qui peut s’y reconnaître. Dans ce cas, le salarié a comme but de faire partager son expérience, c’est-à-dire de l’agir et de l’éprouvé. Il appelle ainsi « l’autre » pour le partager, l’évaluer (il joue un coup) et par là lui permet d’évoluer, de changer intérieurement. L’attitude de l’autre touche alors à des réactions d’empathie, de sympathie, d’antipathie (le coup précédent appelle un contre-coup) qui sont des modes de connaissances de la relation avec les autres.

Dans ses manières de se présenter, de se représenter la configuration amène à des manières de penser, d’agir. Ainsi, le salarié s’interroge, rend visible ses doutes et arrive immanquablement aux problèmes d’éthique. Il n’y a d’éthique que parce qu’il y a de l’autre. Chacun est à la recherche des gestes justes (tout du moins, qu’il croit justes), qui donnent de la dignité à ses actions, conduit finalement à la construction d’un ethos (Scheler).

Participer à cette construction le transforme parce-qu’elle est l’amorce d’une responsabilité qui reconstruit, à son tour, quelque chose de lui-même et de ses choix. L’usage de manières de faire épouse donc les situations communes par une singularité en même temps qu’il épouse la singularité des situations dans le commun.

Mais pour s’autoriser à changer de la sorte, un risque est à prendre car ce qui surgit dans l’interaction entre lui et les autres est sa subjectivité qu’il ne peut exclure. En ce sens, user de manières de faire correspond à un mode de restitution de ses sentiments : passions, amour, haine, rejet, masochisme. L’autre n’est plus alors seulement l’objet d’un regard extérieur, il est un confident.

Ainsi, l’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.

Son identité est en train de revivre à nouveau (ou bien une nouvelle est en train de naître) par sa volonté personnelle (il change). Nous irons jusqu’à dire : au-delà des participations ou des fonctions mêmes, cette volonté est réaménagée pour que ses situations (les étiquettes allouées par sa fonction, son métier, l’organisation…) ne soient pas une charge pour lui. En fait, il se prépare à un changement continuellement et incessamment renouvelé dans une configuration qui structure ses manières de faire.

En effet, celle-ci est l’organisatrice des actions produites par les manières de faire. Elle vise à produire du contact, à former de nouveau micro-groupes, souvent informels, tels que « le clan des POUR » ou celui des opposants.

Ainsi, les projets sont moins des idées à développer que des idées à créer du lien social où les manières de faire témoignent d’un désir de réduire des ruptures ressenties, notamment avec « l’avant changement », de réaliser des besoins-aspirations. Leur usage élabore de nouvelles formes d’échanges socioprofessionnels.

Conclusion : l'art et la manière

Conclusion : L’art et la manière

A retenir ISRIEn somme, l’usage de manière de faire est une tension entre des aspirations et les craintes que celles-ci suscitent en même temps que cette tension est indispensable au changement individuel dans un cadre configurationnel de changement organisationnel.

Finalement, dans ce deuxième chapitre sur 2, nous venons de caractériser les séquences et les procédures qui marquent un changement d’état pour le salarié au travers de l’usage de manières de faire qu’il fabrique.

De la sorte, il s’approprie une place dans les configurations (un propre dans lequel il joue en stratège et tacticien) à partir de laquelle il va pouvoir dire les choses ; c’est-à-dire user de manières de se présenter (de dire, d’être, …).

Cette place a donc un sens, du sens. Un sens parce-qu’elle constitue l’espace personnel nécessaire à sa participation ; du sens parce-qu’elle est l’espace (au sens certausien du terme, c’est-à-dire un lieu pratiqué) à partir duquel il va jouer, ruser, fabriquer, détourner, bricoler, investir sa présentation de soi, ses manières de faire, d’être, d’agir, de penser.

Le salarié changeant est, en conclusion, la figure exemplaire qu’impose l’invention d’équivalences de codes, la réorganisation des systèmes. Il montre qu’il est possible de se déplacer entre le passé et le présent pour l’espérance d’un avenir, d’un devenir, qu’il peut inventer d’autres images de référence, dont l’ensemble finit par donner forme à une nouvelle représentation de soi et en jouer, en user pour répondre à ses attentes et par là se préparer à changer, puis changer et finalement changer continuellement.

De cette créativité naissent ses engagements, il change en même temps qu’il s’affirme comme un individu par rapport aux autres.

En fait, le salarié est un joueur ; sa salle de jeu est un théâtre où la dépendance des relations donne une idée de similitude et de réciprocité mais aussi de complémentarité entre sa singularité, son je et la pluralité des autres je.

Cela l’amène à user de tactiques et de stratégies dans lesquelles il fait preuve de créativité pour chercher le meilleur résultat, en même temps qu’il définit un point d’équilibre dans ses relations. Son acte (l’usage) est singulier, son action (la manière de faire) est la preuve visible de ses changements en cours.

Ainsi, le salarié est un individu pluriel changeant qui ne peut pas être pensé comme Robinson Crusœ mais dans une pluralité d’individus changeants, une configuration.

Ainsi, les relations interpersonnelles et les interactions révèlent la fabrication de l’espace, sorte d’entre-deux, bâtie autour de l’usage de manières de se présenter et qui portent les traces de la configuration dans laquelle les participations prennent place pour répondre aux attentes (du changement organisationnel, par exemple) et par là permettre le changement du salarié.

Cet usage participe à la construction et au renforcement d’une ambiance, qui fut si souvent énoncée par les salariés interviewés lors de nos missions, et par extension, au renforcement d’une identité groupale.

En résumé, comprendre les raisons du processus de changement personnel du salarié DANS le changement organisationnel c’est rendre compte des dynamiques relationnelles qui caractérisent les rapports. Ainsi, nous avons pu rendre visibles quelques matériaux participants du phénomène observé. Ainsi, nous avons pu décoder les schèmes opératoires réalisés par les salariés. En clair, nous avons repéré cinq mécanismes fondamentaux des manières de faire et de leurs usages :

  • une recherche de satisfaction des besoins-aspirations pour transformer les ruptures en mieux-être,
  • une mobilisation des représentations pour les utiliser dans les différents contextes où ils risquent d’en avoir besoin,
  • des présentations de soi adaptées pour s’intégrer dans une configuration,
  • des stratégies singulières pour interagir,
  • des tactiques individuelles pour acquérir ou conserver sa place.

Lorsqu’une configuration favorise ces manières de faire, les salariés usent de tactiques et de stratégies et se trouvent motivés par leur relations. Ils deviennent acteurs de leur changement et participent !

Alors GARE A CELUI QUI N’EN TIENT PAS COMPTE !
Car, le potentiel humain est la seule richesse permettant d’optimiser le changement organisationnel, sinon c’est l’éviction par la concurrence !


Dans la troisième partie de ce dossier, nous tiendrons compte de ce que nous venons d’exposer afin d’en extraire un guide opérationnel permettant de conduire et réussir le changement.

Pour en savoir +

Notes de l`article   [ + ]

Juin 292014
 

Changement personnel ISRI - Photo KangourouLe changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
2/5
FAIRE SA PLACE, ANGOISSES ET INFLUENCES

Chapitre 2 sur 5 :
FAIRE SA PLACE, ANGOISES ET INFLUENCES
Dans le chapitre précédent nous avons mis en exergue l’importance des interdépendances, des configurations et des stratégies dans le psychisme et le psychologique des personnes pour un changement personnel. Ce deuxième chapitre s’attache à pointer le cortège d’angoisses et les manières de faire sa place.

 

A quel stade identitaire êtes-vous ?

DEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 2 sur 5

FAIRE SA PLACE, ANGOISSES ET INFLUENCES

Dossier ISRI FRANCEA quel stade identitaire êtes-vous ?

C’est du côté de Nietzsche que nous allons un peu regarder pour parler de démarches identitaires.

Nietzsche appelle dans « Les Trois Métamorphoses » trois stades pour présenter la construction de son individualité(1)Nietzsche, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, tr. Bianquis, G., Aubier, 1953, p.319.

Le premier stade est le stade du chameau qui dit oui et accepte tout.

Le deuxième, le stade du lion est révolté et cherche à se délivrer, à être indépendant, cherche à repousser tous les « tu dois« , c’est la recherche de la libération. Le but de se délivrer c’est d’être indépendant pour se donner à soi-même ses propres lois, ses propres valeurs.

Le dernier stade, la dernière métamorphose, c’est l’enfant. L’enfant qui dit oui, non pas aux autres (à la loi, au « tu dois« ) mais à lui-même, au devenir. C’est l’enfant créateur qui donne à lui-même sa propre loi.

Il faut toutefois émettre quelques réserves car tout dépend d’où l’on se place ? Qui parle ? Depuis où il parle ? Quelles sont les motivations de l’individu qui parle ? Mais ce qu’il faut retenir c’est qu’il a besoin d’être autonome en tant que phase dans la construction de son individualisme.

Dans la figure de l’enfant ce que semble vouloir dire Nietzsche c’est qu’il s’agit de dépasser le ressentiment pour se situer dans le je. Ceci permet d’éviter cette antinomie entre individu et société.

Georges Palante a cherché à définir l’individualisme comme sensibilité(2)Palante, Georges, L’individualisme aristocratique, les Belles Lettres, 1995 in Magnone, Fabrice, Le Monde Libertaire n°1028, 1-7 fév. 1996.

Ce que semble vouloir dire Palante c’est l’inévitable affrontement entre le singulier et le troupeau, entre l’individu et la société, même si l’issue doit s’avérer fatale pour l’originalité sous quelque forme qu’elle se présente. En d’autres termes, espérer conquérir sa liberté, la liberté de dire oui, l’individu libre n’aurait donc d’autre choix que la révolte, même désespérée ?

Résumons-nous, l’individualisme dispose de deux distinctions :

  • « l’une pour qui l’individu a quelque chose de donné avec une référence ultime : la conscience, la liberté ou le corps. L’autre, qui fait de l’individu quelque chose de relatif, de construit qui doit se déployer d’abord dans sa différence par rapport à autrui. »(3)Worms, Frédéric, L’individualisme, émission radiodiffusée Philambule sur France Culture le 24-04-99 ; et
  • les trois interprétations « selon que l’on s’attache à caractériser les comportements (individualisme social), à légitimer les normes, les institutions et les choix de valeurs (individualisme éthique, contractualisme) ou à expliquer les processus sociaux (individualisme méthodologique). »(4)Birnbaum, Pierre et Leca, Jean, Sur l’individualisme, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, coll. Références, 1991, 4è de couverture.

A noter, cependant, aujourd’hui, que l’individualisme est synonyme d’asocial, de manque de civisme et de solidarité. Il est perçu un peu comme péjoratif, comme une étiquette.

Alors qu’est-ce qui fait que l’homme crée des formes du lien social (Durkheim) ? Pourquoi des liens affectifs se tissent-ils entre les salariés ?

Pour cela il nous faut commencer par une approche psychologique parce-qu’elle ouvre une piste de compréhension : « un rapprochement apparaît chaque fois qu’une personne se découvre un trait commun avec une autre. […] C’est lui qui engendre les sentiments de sympathie et de camaraderie. »(5)Freud, Sigmund, psychologie collective et analyse du moi dans Essais de psychanalyse, Payot, 1970.

Solidarité et identification

Solidarité et identification

Changement personnel ISRI - Photo ChatsAinsi, la relation entre les salariés dans une configuration pourrait être une relation faite de tendances affectives, libidinale.

MAIS en sociologie, Durkheim affirme que la cohésion sociale est renforcée par les sentiments d’ATTRACTION. C’est-à-dire, « par l’expression d’attitudes positives (la sympathie) et peut se traduire par le désir de se rapprocher des autres. »(6)Durkheim, Émile, Le suicide, étude sociologique, Paris, Puf, 1960. A ce stade, la solidarité serait faite uniquement de relations.

Les résultats d’une expérience menée en 1979(7)Rands et Levinger, In Fisher, Gustave-Nicolas, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, 1996, p.45 ont pu dégager la corrélation croissante suivante : « plus la relation est intense plus nombreuses sont les activités conjointes et plus importante est l’implication mutuelle ».

Dans ces conditions, comment le changement peut-il avoir cours ? Cette conformité imposerait-elle la déviance ? C’est dans « De la division du travail social », que Durkheim ébauche le « réel » de cette solidarité en l’appelant « contrat ».

En clair, il tente d’établir un passage de la solidarité par similitude à la solidarité organique. C’est-à-dire, il oppose les individus « similaires » groupés (avec une même croyance, les mêmes valeurs partagées, les mêmes sentiments, etc.) aux individus qui sont « différents » et se lient les uns aux autres parce qu’ils exercent des rôles et fonctions complémentaires à l’intérieur du système social.

Ceci est particulièrement intéressant car nous pouvons dès lors repérer plus aisément, par transposition, les jeux et coups produits dans un changement organisationnel.

Autrement dit, pour Durkheim, c’est la différence et la complémentarité qui créent la solidarité. Le passage du « statut » (solidarité de type mécanique) au « contrat » (solidarité de type organique) est associé à l’apparition et au développement de la division du travail.

Cette division « supprime la rivalité entre individus en les rendant étroitement solidaires les uns des autres et également étroitement solidaires de la société ; l’individu est d’autant plus moral que sa solidarité avec la société est étroite. »(8)Encyclopædia Universalis, Cd-Rom, 1998

Ainsi, pour qu’il y ait solidarité il faut qu’il y ait un sentiment de responsabilité mutuelle entre plusieurs personnes mais aussi une dépendance mutuelle d’intérêts. « Les échanges révèleraient ainsi une stratégie du coût psychologique minimal dans la vie sociale. »(9)Gergen et Gergen (1981), In Fischer, G.-N., Les concepts…, op. cit., p.49.

Approcher les changements observés à partir de la solidarité aidera à saisir l’ajustement des valeurs organisationnelles d’un groupe avec celles des valeurs personnelles. C’est-à-dire, elle permettra d’aborder le phénomène comme la capacité de l’individu à maîtriser le changement dans le but de trouver et développer une manière de s’engager.

Prestation - Supervision ISRIPetite astuce à l’usage du pilote du changement :
Pour analyser une configuration, vous serez amené à prendre en compte les systèmes humains en tant qu’ils constituent une des dimensions essentielles de la configuration formée par votre organisation (pour ne pas dire : LA richesse de votre organisation !). La configuration se pose donc ici au plan des relations interpersonnelles. Ainsi, elle aura quelque chance de rendre intelligible le changement observé au sein de l’organisation en faisant apparaître les raisons et les motivations des salariés à s’engager : la solidarité en tant que valeur produisant du lien social… ou l’inverse !


Bernard Lahire a relevé auprès d’Elias que « pour comprendre un individu, il faut savoir quels sont les désirs prédominants qu’il aspire à satisfaire. ». Ce qui nous conduit à voir les valeurs comme une représentation cognitive des besoins ; les motivations d’une personne résultant de l’insatisfaction de certains de ses besoins.

Pour exemple, un enseignant de Paris V citait une étude menée par ses étudiants : « Lorsqu’on a demandé aux syndicats quels étaient les éléments et les moyens de motivation des salariés ? Les syndicats ont répondu la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires. Les salariés ont dit qu’au delà d’un certain niveau de salaire, ce qui les intéressait avant tout c’était d’avoir un travail intéressant. »(10)Dans l’émission télévisuelle de Nathalie Lebreton, journaliste, Eco et compagnie, Les écrans du savoirs, diffusée le vendredi 5 juin 1998 : « le capital c’est l’homme ». Ont participés : Campana Eled Associés, CNDP, CCI Paris, Editions Hatier, Alternatives économiques, la Cinquième.

Cette étude éclaire le phénomène de changement en signifiant une hiérarchisation des attentes du salarié : à partir d’un certain niveau de salaire… avoir un travail intéressant.

Ce que voudrait dire cette idée, est qu’on ne peut agir sur les motivations d’une personne qu’à la condition de satisfaire ses besoins (Maslow a hiérarchisé les besoins sous la forme d’une pyramide). Ce qui nous permet d’aborder le phénomène de changement comme la possibilité d’être une recherche de satisfaction des besoins par le salarié.

Conclusion : l'identité, une série de transactions

Conclusion : l’identité, une série de transactions

Changement personnel ISRI - Photo TransactionTantôt l’identité apparaît comme une image symbolique, tantôt l’image est seulement l’expression réelle de l’identité. A l’identité réelle d’une structure sociale, par exemple, va correspondre l’image réelle (l’accueil, les locaux, les agréments, etc.) ; à l’identité symbolique correspondra l’image symbolique (la crédibilité, le dynamisme, la convivialité, etc.). L’image globale correspondra naturellement à une combinaison complexe et fortement variable, empruntant tour à tour aux deux composantes de l’identité : réelle et symbolique.

Donc, l’image que l’on perçoit d’une organisation, aussi petite fut-elle, est toujours une combinaison complexe mêlant intimement le réel et le symbolique.

Ainsi, chacun en fonction de ses « besoins » et de ses « moyens » pourra s’identifier aux valeurs d’un groupe ou d’un micro-groupe (son bureau, son équipe, son service…) s’il répond aux attentes du salarié.

Cette identification permet de passer de l’individualisme à la solidarité à partir d’un contrat consenti entre les individus. Contrat qu’il faut traduire par une mise en rapport des individus entre eux sans que leur volonté préalable ait pu discuter des conditions d’un arrangement.

Autrement dit, les membres d’un groupe, par un « va-et-vient », un « jeu » entre leur propre identité (individuelle et sociale) et l’identité réelle et symbolique du groupe, comme sur l’histoire plus ou moins légendaire dans laquelle ils sont enserrés et qu’ils contribuent chaque jour à créer, deviennent progressivement autres (changent ?), maîtrisent leurs actions en se délivrant de la chimère « tout maîtriser », se sentent faire partie d’un mouvement collectif (reconnaissance) où sont en œuvre des mécanismes d’aliénation et de désaliénation auxquels ils participent plus ou moins innocemment. En clair, ils s’identifient à une organisation par une série de transactions de type « succession d’ajustements », « marchandage », « processus » donc d’interactions qui se situeraient au cœur même des interrelations.

Les salariés sont donc des acteurs qui doivent « inventer » de nouvelles solutions au cours de ces interactions dynamiques. Ils sont, pour le coup, à la fois producteurs et reproducteurs de sens.

Mais, ceci inclut « l’existence d’une dimension conflictuelle qui implique une série de compromis provisoires et de perpétuelles renégociations, donnant le primat au changement qui résulte d’une nécessité d’articuler des exigences contraires. »(11)Rémy, Jean, La vie quotidienne et les transactions sociales : perspectives micro ou macro-sociologiques, Maurice Blanc, 1992, p.302-305

Par ailleurs, ces transactions identitaires se construisent dans un espace interrelationnel, contractuel (Durkheim), que nous avons déjà nommé configuration (Elias). Donc, ce que doit chercher et trouver le salarié, est cet « espace », c’est-à-dire ce « lieu », cet « entre-deux », cet « inter- » autorisant son changement.

Autrement dit, les concepts d’identité et de configuration devraient pouvoir permettre d’appréhender ce qui se joue au sein d’un changement organisationnel. Parce-qu’ils éclairent les changements observés sous l’angle d’un jeu interrelationnel.

Enfin, rappelons que la solidarité est une valeur ; précisément une valeur affective que l’individu partage avec les autres, lui permettant de s’identifier, d’appartenir à un groupe. Par là, l’identification et l’appartenance pourraient être expérimentées par le salarié grâce aux valeurs si le responsable du changement a engagé une démarche de compréhension. En effet, l’identification et l’appartenance pourraient s’exercer à partir de valeurs communes partagées imposant au salarié des transactions sur ses propres valeurs, des ajustements donc des changements.

NB : Pour mieux appréhender la notion de valeurs, le lecteur a grand intérêt à lire l’article « Comprendre le changement personnel : les valeurs, importance et ambivalence » paru sur les Echos à cette adresse.

Dans ce texte paru sur les Echos, en résumé, nous apprenons que le phénomène de changement échappe aux normes et au contenu même des valeurs. Elles-mêmes tributaires de toutes sortes de facteurs extra-moraux ; et la relation des membres d’un groupe est donc fonction des valeurs internes qu’il produit : « l’apparition d’une valeur peut être facilitée par le contexte ou la conjoncture ; sa persistance ne peut s’expliquer seulement parce-qu’elle est adaptée au contexte et à la conjoncture »(12)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999, p.30.

MAIS, Certeau, dans la première partie de « L’invention du quotidien », entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »(13)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.XXXV

Ceci suggère que ce que nous avons vu jusqu’ici doit être complétée par l’étude de ce que le salarié « fabrique », « bricole », « braconne » en fabricant ses représentations.

Ce qui nous conduit à nous demander si comprendre le phénomène de changement ne pourrait pas être de tenter comprendre comment ce « entrer dans » est « négocié » par le salarié parce-que cette construction individuelle de lien social, cette socialisation, nous signifie l’influence de l’individu sur lui-même par des manières de faire propres.

LE SALARIE DANS SON ENTREPRISE, un inventeur de manières de faire

Ce que propose Certeau, c’est « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus » qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système » , « subvertissent » les productions ou les représentations imposées par une contingence. » Il veut parler de tactiques et de stratégies.

Nous verrons ce thème des tactiques et stratégies dans le chapitre 3 sur 5 de ce dossier partie #2. En attendant, le lecteur peut lire l’article ISRI paru ici sur les tactiques et stratégies.

Lire la suite…

Pour en savoir +

« (…) mais ces désirs ne sont pas inscrits en lui avant toute expérience. Ils se constituent à partir de la plus petite enfance sous l’effet de la coexistence avec les autres et ils se fixent sous la forme qui déterminera le cours de la vie progressivement, ou parfois aussi très brusquement à la suite d’une expérience particulièrement marquante. »(14)Lahire, Bernard, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Seuil, Coll. Hautes études, 298 p.

Notes de l`article   [ + ]

Mai 062013
 

Changement personnel - Photo Rubiks cubeLe changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
1/5Dossier ISRI FRANCE
MAIS QU’EST-CE QUI PEUT BIEN NOUS FAIRE CHANGER ?

Dans la première partie de ce dossier (3 chapitres), nous avons abordé le changement organisationnel et son corollaire : le changement personnel. Dans un premier temps, nous avons réalisé un état des lieux (Part 1 – Chap 1), puis défini le changement organisationnel afin d’en dégager quelques outils (Repères) courants. Dans un second temps, nous avons un peu disserté sur les résistances au changement. Enfin, dans un troisième temps, nous avons parlé des clés de la transformation de soi et avons mis en exergue l’influence capitale des émotions dans le changement personnel. Chemin faisant, nous avons fait un focus sur les psy-thérapies.


Deuxième partie : liminaire

Liminaire

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE FlècheCe premier chapitre sur 5, de cette deuxième partie, s’attache exclusivement au changement personnel DANS le changement organisationnel en pointant les identifications, les reconnaissances, les distinctions et les similarités du salarié au sein de l’organisation. Chemin faisant nous adaptons de nombreux concepts de psychosociologie afin de les rendre transposables dans le champ de l’entreprise.

Le deuxième chapitre, quant à lui, pointe la capacité qu’à le salarié à « faire sa place » au sein de l’organisation. Il met en exergue les angoisses et les influences, ainsi que les types de stratégies et de tactiques exercées par le salarié pour changer ou résister.

Pour une parfaite compréhension de ce chapitre 1 du dossier sur le changement personnel, nous invitons le lecteur à prendre préalablement connaissance des articles additionnels ISRI suivants. Ces articles font parties du dossier complet et expliquent de nombreux concepts indispensables à une bonne compréhension du phénomène de changement :

Changement personnel - Photo IndividuLe changement personnel : individu, personne, personnalité Changement personnel ISRI - Photo ValeursComprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence Changement personnel - Photo Analyse ISRIOptionnellement
La psychothérapie, le bras armé du changement positif
Part 1 - Chap 1 : Le salarié, son groupe, l'organisation

DEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 1 sur 5

Le salarié, son groupe, l’organisation

Changement personnel ISRI - Panneau FINLe point de vue que nous exposons ci-après veut élargir le champ des réflexions en matière de changement personnel qui semblent un peu « tourner en rond » sans avoir l’efficacité escomptée au sein du changement organisationnel.

Comprendre le changement personnel n’est pas une mince affaire et comprendre le changement personnel DANS le changement organisationnel semble relever de la mission impossible, voire d’une gageure, à priori, tellement le sujet semble complexe, comme tout ce qui touche le psychisme de l’être humain et le psychologique de ses relations interpersonnelles.

La raison en est évidente et simple : chacun de nous est simultanément l’observateur (le penseur) et le sujet d’observation (visé par la pensée).

La scission sujet/objet est le grand mystère et la structure fondamentale de la connaissance humaine, comme l’avait bien vu Jaspers.

Ajoutez-y des intérêts et des buts différents (sinon, antinomiques ou contradictoires, parfois !) entre le salarié et l’organisation et vous aurez un aperçu de la dimension de la tâche : une interrogation inépuisable !

Commençons par nous appuyer sur quelques fondements théoriques afin de poser la question des sources et des motifs des changements (pourquoi changer ?) ; aussi des processus qui les favorisent, qui les autorisent (qu’est-ce qui fait changer ?).

Procéder ainsi nous paraît être un passage obligatoire pour élucider, ensuite, les présupposés et bien comprendre le changement personnel et, donc, bien conduire pour réussir le changement organisationnel ; car nous voulons légitimement nous  interroger sur les conditions mêmes du changement personnel. C’est-à-dire :

  1. s’il y a changement personnel c’est qu’il y a quelque chose d’observable, a savoir : des comportements différents
  2. et ces comportements doivent bien s’exercer AVANT TOUT dans un topos, à savoir : l’organisation.

Avant de poursuivre plus avant sa lecture, le lecteur aura grand avantage à lire l’article déblayant les , ainsi que ceux traitant des

Distinctions et similarités : 1. Interdépendances, configurations et stratégie

Distinctions & similarités

Dossier Changement Définition ISRI

1. Interdépendances, configurations et stratégie

Changement personnel ISRI - Photo EliasNorbert Elias (1897-1990) propose deux concepts fondamentaux intéressants pour notre exposé : celui de CONFIGURATION et celui de PROCESSUS.

Il entend par configuration « la figure globale toujours changeante que forment les joueurs ». C’est-à-dire, la formation d’un ensemble d’individus, en l’occurrence de salariés, qui « inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques »(1)Elias, Norbert, La société des Individus, Fayard, coll. Pocket, 1991, p.14.

En clair, Elias indique qu’on ne peut analyser la configuration sans tenir compte du « sens intentionnel » des actions menées par les individus-salariés. Ainsi, il renonce à envisager la société en termes de relations de causes à effets, mais la conçoit au travers du concept d’INTERDÉPENDANCE dans le cadre de ce qu’il nomme des configurations.

Pour lui, le processus serait équivalent à la stratégie et serait organisée par le postulat d’une volonté et d’un pouvoir. Si nous ajoutons à cela que la stratégie est un domaine dans lequel la pensée et l’action sont étroitement imbriquées, expliciter le changement du salarié par l’usage de la stratégie va nous permettre de [hi]comprendre la manière dont il joue des coups[/hi] dans des espaces et selon des situations.

Sur le même registre, Changement personnel - Photo CerteauMichel de Certeau, pour qui « l’homme ordinaire donne en représentation »(2)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. folio/essais, 1990, p.14, c’est la manifestation par la production (la manière de parler, de s’habiller, d’exprimer l’art ou la culture, par exemple) et les conduites qui caractérisent l’homme. Il met ainsi en exergue le concept de . Ce qui va particulièrement être important pour mieux comprendre les différentes interdépendances en jeu.

Changement personnel ISRI - Photo GoffmanErving Goffman, quant à lui, parle d’une « présentation de soi stratégique » sur la scène publique et ses .

A retenir ISRIA travers tous ces auteurs, comprendre le phénomène de changement personnel nous met face à une hypothèse : l’individu semble « en logique », chargé « d’intentions », dans l’accomplissement de ses activités et de son rôle dans l’organisation. Bref, il semble « DONNER DU SENS », et la stratégie devient pour lui un moyen à utiliser pour mettre en scène sa représentation. Cette représentation pouvant être, par exemple, celle d’un meneur ou, au contraire, celle d’un résistant.

Comprendre le changement personnel d’un salarié consisterait donc à connaître la logique qu’il emploie ; c’est-à-dire, quels « coups » joués ? par rapport à quoi, à qui ? dans quels espaces ? à partir de quelles situations ?

Concluons ici que la notion d’individu est polysémique, abstraite et partielle. Aussi, pour bien comprendre l’individu en tant que salarié d’une organisation, nous faisons le choix d’exposer nos propos selon un point de vue psychosocial (ça tombe bien, la psychosociologie est le cœur et le fondement des expertises ISRI !).

Autrement dit, nous allons chercher à comprendre le changement personnel d’un salarié-individu en tant qu’il est dans l’organisation un être relationnel en même temps qu’une personne en représentation.

Pour clarifier nos propos, construisons un premier schéma récapitulatif sous forme d’hypothèse à partir des éléments ci-dessus :

Changement personnel ISRI - Schéma hypothèse

Distinctions et similarités : 2. Personnalité subjective, personnalité objective

2. Personnalité subjective, personnalité objective.

C’est en cherchant à décrire ci-avant l’individu-salarié autour duquel s’organise son « être relationnel » que nous sommes maintenant amenés à expliciter ce que nous avons abordé en filigrane jusqu’à présent, c’est à dire : la . et sa représentation.

Cela nous conduit à considérer le salarié comme corrélatif de droits et d’obligations. A partir de là, il nous faut répondre à une question : quelle signification peut avoir le personnage-salarié dans son changement ? Pour le dire autrement : pourquoi changer ?Dossier Changement Définition ISRI

Changement personnel - Photo Descartes

René DESCARTES

Changement personnel - Photo Maisonneuve

Jean MAISONNEUVE

Jean Maisonneuve et René Descartes, entre autres auteurs, caractérisent aisément l’aspect subjectif de la personnalité car, pour eux, les choses ne sont qu’en tant que nous les pensons d’abord et les produisons, ensuite. En somme, un ensemble des manières d’être d’un individu distinguant dans la personnalité « le moi comme système d’attitudes communes intériorisées, de réponses conformes aux situations sociales et le je, principe spontané et original. »(3)Mead, Gorges Herbert, L’Esprit, le soi et la société, tr. Fr., Puf, 1963 in Maisonneuve, Jean,  La psychologie sociale, Puf, coll. Que sais-je ?, 1998, p.35

Mais qu’est-ce qui caractérise l’aspect objectif de la personnalité ? Nous postulons pour les TRAITS MORAUX.

Changement personnel - Photo BoudonRaymond Boudon (photo ci-contre) nous dit qu’« il est possible d’en préciser le sens […] en examinant ses caractères les plus généraux et les plus permanents : l’individualité, l’autonomie, la stabilité ou consistance [(le personnage)], enfin, la spécificité des ». Le tout prenant forme dans un groupe permettant de faire exister les caractères.

De ce point de vue, il n’y aurait ni soi, ni conscience de soi, ni communication en dehors de la société, c’est-à-dire en dehors d’une structure qui s’établit à travers un processus dynamique d’actes sociaux communicatifs, à travers des échanges entre des personnes qui sont mutuellement orientées les unes vers les autres. Par un mot : en interrelation.

Pour le dire plus simplement : ce serait les échanges professionnels et personnels entre les salariés qui produiraient la motivation ; et bien évidemment, produirait l’inverse en leur absence, c’est à dire la RÉSISTANCE !

Nous allons emprunter cette piste pour comprendre comment le salarié, en tant que personne, exerce/joue un personnage (plus exactement un de ses personnages, en fonction des situations) au sein de l’organisation ; comment il peut changer, évoluer pour assumer des interactions sociales, prendre des responsabilités ou des initiatives ; comment ses traits de caractère innés (en construction constante) ou acquis (en développement, qui relèveraient de la réflexion, de l’effort personnel et de son expérience) lui permettent de s’engager, de se motiver, d’échanger, par exemple.

De même, cette piste devrait nous permettre de relever, si elle existe, une forme d’appartenance à un groupe créant une forme d’association par des échanges où l’identité de chaque salarié est cachée derrière un masque (cf. article sur l’individu, la personne et le personnage). Bref, comment le salarié, joue des coups, donne du sens dans le changement organisationnel.

En attendant, le salarié, en tant qu’individu, peut donc être compris en tant qu’être relationnel à partir de ce qu’il veut être ; mais également, en tant qu’être en représentation, c’est-à-dire un personnage à partir de ce qu’il doit être. Nous excluons volontairement le peut être car nous postulons qu’il relève de l’auto-motivation, voire, de l’autosuggestion et n’apporte pas d’explication dans notre quête.

Alors, comment s’y prend-il dans sa relation à l’autre ? Ses aspirations peuvent-elles concorder avec ce qu’il attend de la configuration, de l’organisation ?

Distinctions et similarités : 3. Identification, appartenance, reconnaissance

3. Identification, appartenance, reconnaissance

Si nous nous référons à ce qui précède, c’est-à-dire que l’aspect fondamental c’est la création de canaux de communications, de relations, alors l’extension de la participation sociale d’un individu se caractérise par le désir de participer, les attentes, l’intensification du sentiment d’identification et d’appartenance. D’appartenance puisqu’on peut supposer que l’expulsion Ou la démission constituent l’ultime sanction contre les réfractaires.

Bref, ce qu’il faut pour le salarié, finalement, ce sont des liens à partir desquels s’exercent un échange et une représentation. Ces liens pouvant être les valeurs parce-que l’individu est un être de besoin qui n’existe que parce qu’il vit en société avec d’autres individus.

Inversement, nous avons vu que la société n’existe que dans la mesure où les individus qui la composent existent (Elias, configuration).
Nous retiendrons, finalement et à-priori, le fait de la sociabilité du salarié-individu.

Or, il découle du concept de sociabilité que l’individu, d’une manière générale, présente un trait particulier de relation pour se révéler à l’autre, se positionner par rapport à l’autre ; c’est le fait de s’identifier et d’identifier.

a) Identité : identification

Changement personnel - Photo MeadPour George-Herbert Mead(4)L’Esprit, le soi et la société, 1934,  tr. J. Cazeneuve, Puf, 1963, la genèse de l’identité se construit par rapport à « l’autre généralisé » ; c’est-à-dire dans un rapport à autrui, d’une manière générale. Nous allons donc aborder le phénomène de changement personnel sous l’angle de l’identité. Particulièrement, nous développerons un de ses mécanismes, .

Parce-que si l’identité désigne « ce qui chez quelqu’un est conservé »(5)Barbier, J.-M., chercheur au CNAM in Revue Sciences Humaines, Le changement, Hors série n°28, p.11, l’identification renvoie davantage à des transformations identitaires et témoigne de changements sous diverses formes : « S’il [(l’individu)] est victime de rejet ou de dévalorisation […] il peut vouloir restaurer son image (restauration identitaire). Il peut parfois rechercher une reconnaissance sociale et la légitimation de son itinéraire (confirmation identitaire) ou se préparer à de nouvelles opportunités (flexibilité identitaire) » (6)Sciences Humaine HS28.

Aborder l’identité est propre à faire apparaître un lien spécifique entre la personne et autrui, c’est l’identification. Il y a identification lorsqu’il y a un autre et c’est le fait d’agir par rapport à cet autre que l’individu peut changer. Ce qui va donc nous intéresser lorsqu’il s’agit de changement personnel c’est de trouver quels types de relations alimentent les identifications dans l’organisation. C’est cette perspective de lien spécifique qui est intéressante pour la compréhension du changement personnel DANS le changement organisationnel.

L’identification « se réalise à travers les valeurs et les normes d’un groupe ou d’un système culturel. » Par exemple, Serge Moscovici aborde le travail en tant qu’il est dans l’homme : « une fois attribué à Pierre ou Paul, Pierre ou Paul en font leur être et s’y expriment, comme si, depuis toujours, ce travail avait été leur travail, comme s’ils avaient commencé avec eux. […] Le travail se situe ainsi au centre des moyens d’action de l’homme, et la réalité objective est potentiellement en lui. »(7)Moscovici, Serge, Essai sur l’histoire humaine de la nature, Flammarion, coll. Champs, 1977, p.85

Pour le dire autrement, le travail est dans l’homme, il est identification, et son ouvrage est l’expression de cette identification.

Petite astuce à l’usage du pilote du changement :Prestation - Supervision ISRI
Si vous souhaitez mieux saisir les changements personnels, vous serez obligé de rapporter à l’identification le terme d’acculturation.
D’une part, parce-que « l’acculturation comprend les phénomènes qui résultent d’un contact direct et continu entre des groupes d’individus de culture différentes, avec des changements conséquents dans les types culturels originaux de l’un ou des deux groupes »(8)Robert Redfield, Ralph Linton et Melville Jean Herskovits, Le Memorandum, 1936.
D’autre part, parce qu’il permet de dépasser la question classique selon laquelle plus on adhère (c’est-à-dire plus on s’identifie) à des valeurs ou à une culture, plus on s’aliène.
Si vous appréhendez vos collaborateurs d’après le terme « acculturation » vous leur donnez, ainsi, immédiatement, une dimension interactive. Voyez-vous, nous touchons là une valeur capitale permettant au salarié de s’engager dans un processus de changement car, dès lors, il peut définir ses intérêts, calculer les coûts et bénéfices, donner un sens à ses actions, et sera assuré de son identité par son appartenance à une organisation unifiante.
Comme le dit Allessandro Pizzorno  « [l’individu (le salarié, ndlr)] sélectionne, informe, invente, et même, si besoin est, néglige ou étouffe »(9)Pizzorno, Alessandro, Sur la rationalité du choix démocratique, tr. P. Birnbaum et J. Leca dans Sur de l’individualisme, Presses de la FNSP, 1986, p.352 in Corcuff, Philippe, Les nouvelles sociologies, Nathan, coll. 128, 1995, p. 93.


b) Reconnaissance : estime de soi

Parler de l’estime de soi est délicat car il est très souvent galvaudé par les articles « psycho », et pas seulement dans la presse féminine, qui en évoquent les bienfaits, comme une condition préalable du succès, un moteur de l’action et de la transformation ; ce qui ne correspond à aucun fait observable.

En effet, de nombreux exemples montrent qu’on peut construire sa vie et connaître un succès éclatant sans avoir une estime personnelle « en place ». N’est-ce pas le cas de certains artistes ?

En revanche, nous postulons que l’inverse est vrai, à savoir que le succès renforce l’estime personnelle.

Bref,dans le langage courant, l’estime de soi est devenu un poncif sinon une « tarte à la crème » !

Cela dit, les pères fondateurs des psychothérapies modernes ont débusqué les freins à l’estime de soi que nous sommes nombreux à nous imposer, peut-être inconsciemment, par exemple :

  • la crainte de l’inconnu, affrontement psychologique qui pourtant, souvent, est porteur d’améliorations,
  • l’interdiction de « tuer » psychiquement les images parentales. En fait, nous cherchons souvent à réussir mieux que ses parents tout en restant dans une dépendance infantile,
  • l’approbation de l’entourage que nous recherchons souvent de manière névrotique mais qui nous autolimite et nous conforme pour être aimé et accepté.
Petite astuce à l’usage du pilote du changement :
Prestation - Supervision ISRI Notre collaborateur Gilles Prod’Homme, dans son livre , a réalisé un tableau éclairant du contenu de la notion d’estime de soi. Le voici  :
Ce qu’est l’estime de soi
Autonomie
Créativité
Responsabilité
Action réfléchie
Souplesse face aux circonstances
Tolérance
Audace
Confiance en soi avec modestie
Ouverture aux autres
Ce qu’elle n’est pas
Incapacité à solliciter de l’aide
Agitation
Évitement (des conflits, par exemple)
Ratiocination
Intransigeance et rigidité
Esprit moralisateur
Témérité
Vanité et outrecuidance
Repli sur soi


Nous retiendrons seulement pour notre article que l’estime de soi est «une forme de respect que l’on se porte en tant que dépositaire des valeurs positives que peut incarner l’être humain. »(10)Gilles Prod’Homme, Le guide du Mieux-être, Eyrolles, 2009, p.88

c) Appartenance : émotions et valeurs

Mais quels critères permettent à l’individu de définir ses intérêts et donnent un sens à ses actions ?

Max Scheler affirme « l’objectivité des valeurs, au sens où, selon lui, les valeurs existeraient indépendamment du sujet qui les appréhende. »(11)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999 Pour lui :

  1. les valeurs sont révélées par l’émotion,
  2. les relations entre valeurs sont, elles aussi, saisies par l’émotion et
  3. les relations entre valeurs sont aussi objectives que les valeurs elles-mêmes.

AutA retenir ISRIrement dit, les valeurs se révèleraient, en même temps qu’elles révèleraient le changement, à la fois, en fonction d’une objectivité et d’une subjectivité. Cette dernière étant liée aux représentations mentales du salarié.

Si plus haut, nous avons parlé identification c’est pour dire, de l’hypothèse de Scheler, qu’elle semble interpréter la capacité à communiquer de chacun d’entre nous en même temps que nous produirions des comportements mimétiques, c’est-à-dire une forme de changement !

Autrement dit, il pourrait exister une identification, par exemple, à un groupe, en l’occurrence l’organisation (le service, l’équipe…), qui autoriserait le changement du salarié, si ce groupe est à la hauteur des attentes de ce salarié.

Donc, les interactions entre les représentations du salarié et les phénomènes de changements personnels sous-tendu par le changement organisationnel seraient intimement liées et, finalement, n’être que le résultat de combinatoires complexes que nous essaierons de décrire et solutionner dans la troisième partie de ce dossier : le guide pour conduire et réussir le changement.

Distinctions et similarités : Conclusion

Conclusion

Changement personnel ISRI - Photo JodeletL’identité est en perpétuelle recomposition parce qu’elle révèle et affirme la personne et autrui, « autrui comme repère et comme témoin »(12)Jodelet, Denise (photo ci-contre), Représentations sociales : phénomènes, concepts et théories, in Moscovici, Serge, Psychologie sociale, Puf, 1984, p.53) au sein même d’une configuration.

L’identification se situe, ainsi, dans l’intersubjectivité d’un groupe, d’une part et fait appel aux valeurs en tant qu’émotion, d’autre part.

Dès lors, une question se pose : comment des salariés aux émotions différentes peuvent-ils se positionner individuellement ou se constituer en organisation pour ou contre le changement organisationnel ?

Changement personnel ISRI - Photo DurkheimÉmile Durkheim (photo ci-contre) y répond par la distinction entre deux formes de solidarité : organique et mécanique. Mais la solidarité est elle-même une valeur, et particulièrement ici un sentiment affectif (émotion). Ce qui voudrait dire que si le salarié est nécessairement relationnel et en représentation et qu’il y a désir de participation et sentiment d’identification et d’appartenance, alors, il y a relations affectives.

Bref, le salarié changeant doit être vu comme un individu chargé d’émotions par tous ceux qui veulent réussir le changement organisationnel !

Dans le deuxième chapitre de cette deuxième partie, nous verrons comment le salarié use de ces concepts afin de « faire sa place » dans l’organisation. Nous élaborerons un un modèle d’analyse afin d’en dégager clairement les « manières de faire » des salariés.

Enfin, dans le troisième chapitre sur le changement personnel, nous parlerons de stratégie et de tactiques ainsi que de besoins et d’aspirations afin de pointer les dynamiques de changement, ce qui « pousse à agir », à s’engager.

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Pour en savoir +

Changement personnel - Photo Individu Article additionnel ISRI abordant les concepts d’individu, de personne, de personnage et de personnalité
Cet article sur le changement personnel veut éclairer les concepts d’individu, de personne, de personnage et de personnalité, afin de lever les (trop fréquentes) confusions d’interprétation courantes qui sont faites en la matière. Bien entendu, nous circonscrivons à quelques champs seulement l’apport des sources et des définitions ici présentes afin de faciliter la compréhension du sujet, à savoir : la sociologie, la philosophie et la psychosociologie.
Changement personnel ISRI - Photo ValeursComprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence
Si « la valeur n’attend pas le nombre des années » n’importe qui peut changer à n’importe quel moment. Mais si, au regard de l’expression : « nous n’avons pas les mêmes valeurs », comment pouvons-nous espérer changer ?
« La stratégie est l’équivalent d’un « coup dans une partie de carte ». Elle dépend de la « qualité du jeu »c’est-à-dire à la fois de la donne (avoir un bon jeu) et de la manière de jouer (être un bon joueur) […] Les stratégies, « combines subtiles », « navigue » entre les règles, « jouent de toutes les possibilités offertes. »(13)(Certeau, Michel de, L’invention du quotidien I Arts de faire, Gallimard 1990), p.87. Pour Elias, la partie de carte est traversée par de nombreuses formes d’interrelations qui s’entrecroisent, les actes des joueurs sont interdépendants : « ni le « jeu, ni les « joueurs » ne sont des abstractions. […] L’interdépendance des joueurs […] est une interdépendance en tant qu’alliés mais aussi en tant qu’adversaire. »(14)Elias, Norbert, Qu’est-ce que la sociologie ?, Pandora, coll. Des sociétés, 1981, pp. 156-157
« Les interactions sociales créent une mise en scène, à travers laquelle les individus déploient un arsenal symbolique. »(15)Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, 1. la présentation de soi, Minuit, 1973, cité par Fisher, Gustave-Nicolas, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, 1996, p.187
Changement personnel - Photo IndividuPersona : Voir l’article définissant les concepts de personne, d’individu, de personnage et de personnalité
Cet article sur le changement personnel veut éclairer les concepts d’individu, de personne, de personnage et de personnalité, afin de lever les (trop fréquentes) confusions d’interprétation courantes qui sont faites en la matière. Bien entendu, nous circonscrivons à quelques champs seulement l’apport des sources et des définitions ici présentes afin de faciliter la compréhension du sujet, à savoir : la sociologie, la philosophie et la psychosociologie.
Les béhavioristes nous fournissent une définition des motivations : « [elles] sont des stimuli qui poussent à l’action et dont, le plus souvent, on observe les effets sans les saisir directement. » Cependant, « la motivation doit être comprise en tant que mise en question permanente de l’équilibre présent au nom d’un équilibre supérieur futur. » Ainsi entendu, la personnalité « n’est pas une substance (un en-soi)[…] elle est essentiellement un système de relation. » En ce sens, « la personnalité comme telle n’existe pas ; ce qui existe ce sont les réseaux de relations. »
Parmi les plus importants mécanismes, Fischer a retenu successivement : l’identification, l’influence des référents sociaux, les processus d’évaluation personnelle et d’improvisation.(16)Fisher, Gustave-Nicolas, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, 1996, p.196 & suiv.
Gilles Prod'Homme - livre Mieux vivre (ISRI FRANCE)Le guide du mieux-être : Bien choisir sa thérapie
(Gilles Prod’Homme)
Lire des extraits :
Prologue 8p Sommaire 6p Intro 12p Chap2 31p
Résumé :
Le développement personnel, c’est quoi exactement ? Quelles techniques doit-on utiliser pour aller mieux, voire s’épanouir ? Qu’ont dit et écrit les thérapeutes fondateurs ? Qu’ont-ils découvert de si novateur pour les individus comme pour les organisations (entreprises, associations…) ? Combien de temps durent vraiment les thérapies ? Pour quelle efficacité ? Comment évaluer les résultats ? En quoi le modèle thérapeutique est-il adaptable à l’entreprise ? Au travers d’un recensement minutieux qui s’adresse au grand public comme aux professionnels, l’auteur a concocté un véritable guide pratique qui offre : · un repérage historique précis sur l’apparition du développement personnel · une présentation critique des concepts indispensables pour choisir ensuite la thérapie la mieux adaptée · un regard objectif et lucide sur ce que chacun peut raisonnablement attendre de l’épanouissement personnel et de ses techniques, des retours d’expérience et des exercices adaptés à différents contextes (travail personnel, en groupe, formation…).
Gilles Prod’Homme, un auteurGilles Prod’Homme, consultant-formateur-associé ISRI, est un des spécialistes français de l’assertivité. Doté d’une très grande expérience de l’entreprise et de la presse, il apporte dans ses activités un regard philosophique innovant. Il est l’auteur d’une douzaine de livres.

Notes de l`article   [ + ]