Oct 222013
 

Le changement :
Voici un exemple pour comprendre les malentendus

Changement ISRI - Exemple malentendu Face à FaceDes commerciaux qui ne vendent pas, des administratifs qui fustigent les techniques de vente en place, un patron décontenancé : de telles situations sont souvent attribuées à des individus défaillants ou fautifs. En réalité, les acteurs définissent personnellement les différentes situations vécues, ce qui produit malentendus et incompréhensions. Cette petite histoire est révélatrice de ces situations lorsqu’il faut mener un changement.

 

Le contexte

Le contexte

Il y a quelques années, un client pour lequel nous avions déjà effectué une aide au recrutement, nous proposait une mission fort inhabituelle : retrouver les gens de son entreprise.

Le téléphone avait alors failli tomber des mains de ma collaboratrice ! Un silence s’ensuivit.

Puis, elle finit par bafouiller : « Retrouver les gens de votre entreprise ? » et, toujours sous le choc de la surprise : « mais où sont donc passés tous les collaborateurs recrutés ? ».

A son tour, son interlocuteur demeura silencieux quelques instants avant de reprendre d’une voix anxieuse : « s’il vous plaît, retrouvez les gens de mon entreprise ! », et avant de raccrocher, l’homme avait suggéré une piste de réflexion : l’incendie de Mann Gulch dans le Montana en 1949, nous indiquant que, si les faits n’étaient pas très récents (1949, tout de même !), ils constituaient, toutefois, un point de départ permettant de comprendre sa propre situation. Il nous recontacterait lorsqu’il aura pu rendre plus cohérente sa demande car il se disait émotionnellement déstabilisé…

De nature curieuse, l’équipe ISRI s’est mobilisée pour exploiter le tuyau : , 10 soldats du feu étaient morts ! Que s’était-il passé ce jour-là ? Notre (en)quête commençait…

, dans son ouvrage «  » rapporte que le romancier Norman Maclean était sur les lieux alors que le feu brûlait encore. Il en tira, quatorze ans plus tard un récit romancé . En 1993 , psychosociologue, publia, à partir du roman de Maclean, une analyse de ce drame.(1)K.E. Weick, « The collapse of sensemaking in organizations : The Mann Gulch disaster », Administrative Science Quaterly, vol.XXXVIII, n°4, décembre 1993, traduction française in Bénédict Vidaillet (coord.), Le sens de l’action. Karl Weick : sociopsychologie de l’organisation, Vuibert, 2003

Changement ISRI - Exemple malentendu Femme sourdeSans entrer dans le magistral décorticage de K. Weick, nous dirons que ses conclusions pointent la perte de sens de l’action collective (autrement dit, la désobéissance) imputables aux et non argumentés du commandement, et à l’absence de leur relai par le chef de peloton.

Cependant, une analyse du système cognitif fait ressortir une absence de partage d’une définition commune de la situation entre le commandement, expérimenté, et l’équipe sur le terrain, inexpérimenté au moment où les décisions d’urgence ont été prises ; alors qu’au départ de la mission, tous les acteurs partagent la même définition de la mission et se sont mis en place selon une stratégie et des comportements appropriés.

En fait, tout a basculé au moment du dramatique malentendu dû au vent qui s’était levé ! Ce changement brusque du contexte (le vent s’est levé) a induit des redéfinitions de la situation par les acteurs et des modifications des principes d’action bouleversant les hiérarchies et les symboles, car les nouveaux ordres rapides (et pourtant, salutaires s’ils avaient été exécutés : « abandonnez votre matériel de feu et grimpez en haut de la colline ») n’étaient pas explicités. En conséquence, les pompiers sur le terrain les ont interprétés comme un acte de panique de la part du commandement car à l’aune de leur formation récente on n’abandonne pas son matériel ! Ils donc.

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE FlècheRevenons maintenant à notre client. Quelques jours après le premier entretien téléphonique, il rappelle et nous propose un rendez-vous. Pour faire succinct, il dirigeait une société ayant mis au point un système orignal et révolutionnaire de lutte contre la contrefaçon. En lien étroit avec les Douanes et Interpol, il avait démarché par cooptation les grandes industries du luxe, du médicament, du funéraire et de la pièce automobile sans véritable succès.

Alors, notre client a voulu mettre sur pied une équipe de commerciaux dont la mission consistait à visiter les prospects pour leurs apporter des compléments d’informations sur les documents envoyés par publipostage et e-mailing par le service administratif, puis leur faire signer un contrat, le cas échéant.

Tout comme , tout semblait organisé pour que ça fonctionne : les procédures et autres techniques de prospection étaient extrêmement bien cogitées, les différents acteurs étaient motivés !

Alors, que se passait-il ? Pourquoi les commerciaux démissionnaient et les salariés des autres services étaient démotivés ? Pourquoi n’y avait-il pas de vente ?

Il ne s’agissait pas du prix, il était très compétitif. Il ne s’agissait pas du système, il était facile à mettre en œuvre. Il ne s’agissait pas de la probité et de l’intégrité de la force de vente, chaque commercial était diplômé d’une haute école de commerce, prêtaient serment de confidentialité et de secret professionnel, et suivait, dès leur embauche, une formation interne de 3 semaines incluant des techniques de Programmation NeuroLinguistique (PNL) pour apprendre à contourner les questions pouvant mettre en péril le secret professionnel. Il ne s’agissait pas du service administratif ou de celui de la conception/maintenance du système, chaque collaborateur avait été recruté par un staff de deux psychologues et un sociologue et ils donnaient entière satisfaction, dans leur travail, d’un point de vu technique.

En fait, comme dans l’incendie du Montana, notre client n’avait pas saisi, dans l’organisation de sa prospection, que les définitions des situations quotidiennes étaient reconstruites inconsciemment et indépendamment par chaque acteurs selon un «  » en trois notions :

  • le cercle,
  • la communautés de justice et
  • l’échelle.
Le feuilletage organisationnel

Le feuilletage organisationnel

1. Le cercle

L’organisation de la société de notre client permettait de définir la situation de manière cohérente dès lors qu’elle restait à l’intérieur du groupe social auquel les acteurs estimaient appartenir. Ici, le cercle est celui des commerciaux (les pompiers sur le terrain, dans l’exemple de l’incendie du Montana) qui se reconnaissaient car ils partageaient la même formation interne et une même mission : vendre le système de lutte contre la contrefaçon.

Les commerciaux se considéraient comme de véritables seigneurs de la vente, non comme des « preneurs d’ordres » ou des « publicitaires » (les pompiers, en quittant leur équipement de feu auraient eu l’impression d’être de vulgaires touristes en fuite).

Ainsi, affichaient-ils des critères permettant de se reconnaître en tant que membres du cercle des commerciaux et rejeter les autres, en l’occurrence, l’administratif et le service conception/maintenance du système, à leur yeux, non viables sans eux.

NB : le lecteur peut relire l’article ISRI traitant de  : Changement personnel - Photo Rubiks cubeLe changement #2 : Comprendre le changement personnel (Chapitre 1 : Qu’est-ce qui fait changer ?)

2. La communauté de justice

La , en général, et celle du juste ou de l’injuste, en particulier, permettent de révéler les principes communs au sein d’un cercle. Ce qui est juste pour un cercle ne l’est pas forcément pour un autre, voire totalement injuste, perfide ou méprisable.

Ainsi, comme les pompiers de l’incendie de Mann Gulch, les commerciaux ne peuvent désobéir à la règle constitutive des principes de leur cercle professionnel : ils ne peuvent être de simples preneurs d’ordres ! Il ne peuvent contredire leurs valeurs apprises et transmises par leurs formations et leur corps de métier ! Ce serait, pour eux, un désaveux, une désobligeance, une indignité !

3. L’échelle

A cet égard des valeurs, les principes de justice autorisent le ‘cercle commercial’ à s’attribuer des positions d’importance, de pouvoir, de prestige voire d’influence : c’est grâce à eux que les autres services, improductifs à leurs yeux, peuvent exister !

L’échelle des commerciaux distingue ainsi les ‘exclus’ des ‘membres’, les ‘non-productifs’ des ‘productifs’, les ‘inutiles’ des ‘utiles’, etc. Ainsi, les cercles administratifs et conception/maintenance étaient-ils dévalorisés par les commerciaux.

C’est donc la PERCEPTION des membres d’un cercle qui attribue ses valeurs et celles des autres !

Alors, que faire de notre compréhension de ce feuilletage ?

Maintenant que nous avons mis en exergue ces trois notions de cercle, de communauté de justice et d’échelle, nous voilà bien avancé !

Eh oui, la question de fond demeure : pourquoi les gens de cette entreprise disparaissaient ? Alors posons-nous des questions intermédiaires pour trouver des pistes de solution,  :

  • pourquoi les commerciaux n’arrivent pas à faire signer des contrats ?
  • quelle influence a la qualité managériale sur l’organisation ?
  • quelle influence organisationnelle existe-t-il sur « l’illusion gestionnaire » existante ?
Un peu de psychologie pour analyser

Un peu de psychologie pour analyser :

Rappelons que le produit est excellent, d’un prix correspondant au marché, facile à mettre en œuvre, fiable et que les procédures commerciales, tant par courrier, courriel que par visite in situ, sont rodées et exercées dans les règles de l’art (du moins d’un point de vu du process).

Il nous fallait donc rechercher ailleurs le problème. Or, il est un élément majeur, déterminant, auquel nous pensons rarement immédiatement : c’est l’humain ! Pourquoi ne pensons-nous pas immédiatement au facteur humain ? Parce que nous sommes souvent trop confiants et très aveuglés par les procédures automatiques et autres logiciels de gestion qui mécanisent et déshumanisent, à notre sens.

Ainsi, les trois éléments à repérer au cours de notre mission étaient-ils ceux du cercle, de la communauté de justice et de l’échelle du facteur humain, à partir d’une position observable afin que les définitions des situations se (re)construisent en interaction.

Il s’agissait bien, au delà des procédures, de formaliser les perceptions/interprétations et les modèles d’action de chacun des trois services commercial – administratif – conception/maintenance porteurs d’une définition particulière des situations.

Changement ISRI - Exemple malentendu MédiateurAinsi, la direction (notre client et ses trois chefs de service) pensait que le dysfonctionnement provenait des commerciaux qui, même s’ils ont prêté serment du respect du secret professionnel, ne respectent pas pour autant le travail du service administratif et dénigrent les campagnes publicitaires faites par publipostage et e-mailing.

En faisant décortiquer par les psychologues ISRI les «  » des commerciaux sur le terrain, nous avons observé que, systématiquement, le prospect parlait spontanément de la publicité reçue et qu’elle lui paraissait suffisamment claire, mais rétorquait immédiatement qu’il avait déjà un système de traçabilité en place.

Les commerciaux arrivaient donc après une campagne publicitaire, et la décision du client étant déjà (quasiment) prise (« non, puisqu’un système de traçabilité était déjà en place »), il y avait donc peu ou prou de chance que la vente se réalisât (la signature du contrat).

Pourtant, aucun des membres du service administratif, qui organise les campagnes publicitaires, et des membres du service commercial, étaient à même d’analyser l’existence de cette situation.

Ainsi, le cercle de commerciaux avait foi dans leur technique de vente considérant qu’elle était rendant impossible l’idée qu’ils ne puissent pas vendre.

Les administratifs, qui constituaient un autre cercle, étaient, eux, confrontés à l’absence de commande. Mais compte tenu que leur travail en amont était bien fait (les campagnes publicitaires [ce qui était vrai, ndlr]) ils ne considéraient pas les commerciaux comme des ‘seigneurs de la vente’ et les confortaient dans l’image de « beaux-parleurs fainéants » qu’ils avaient d’eux !

Le premier cercle diffuse un modèle de contact, de terrain, de relationnel pour lequel les techniques sont nécessairement sans faille. Le second cercle introduit un modèle organisationnel et technologique. En effet, ce modèle porte sur l’envoi de publicités et reste muet sur le relationnel à établir avec le prospect. Dès lors, les ‘administratifs’ ne s’estimaient pas engagés vis-à-vis des échecs des commerciaux, ces derniers étant jugés comme des « blablateurs ».

La rencontre de ces deux modèles produisait un aveuglement de l’organisation : ceux en charge des campagnes ne s’intéressaient pas à ceux qui ne vendaient pas sur le terrain. De plus, le modèle de contact, relationnel (premier cercle / les commerciaux) excluant leur faute grâce à leur formation de haut niveau, c’est donc aux administratifs qu’elle était exclusivement attribuée (alors que pour la Direction, ce sont les commerciaux les responsables, rappelons-le !).

En conséquence, les membres du service administratif se démotivaient et les commerciaux démissionnaient.

Un peu de théorie pour comprendre

Un peu de théorie pour comprendre :

A l’origine, ce que la direction qualifie de ‘dysfonctionnement’, on trouve, en fait, des malentendus qui proviennent du feuilletage organisationnel.

Mais pour , « la particularité des organisations est de produire en permanence des dispositifs faisant croire que les processus sont sous contrôle, que les règles sont appliquées, que les acteurs s’entendent sur ce qu’ils font, etc. Elles donnent l’illusion de la compréhension, d’un fonctionnement évident et lisse ».(2)Valérie BOUSSARD, Delphine MERCIER et Pierre TRIPIER, « L’aveuglement organisationnel », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, p.42

A partir de cette réflexion de V. BOUSSARD, D. MERCIER et P. TRIPIER, il est aisé de comprendre l’opacité ambiante engendrée par les dispositifs de formalisation et de contrôle. Ainsi, les processus appliqués par le service administratif pour adresser les publicités généraient-ils une illusion d’organisation transparente au yeux de notre client / le patron de l’entreprise ! Il comptait tellement sur la normalisation des procédures de prospection et de vente et sur la certification des démarches (l’assermentation des commerciaux) que tout lui paraissait régulé et harmonieux.

Changement ISRI - Exemple malentendu AutrucheDe la même manière, notre client avait pensé un système de communication pour offrir un langage commun technique et sécuritaire dont les différents acteurs des trois services administratif, conception/maintenance et commercial pourraient utiliser pour se comprendre. Il fournissait ainsi l’illusion de piloter son entreprise en cohérence alors, qu’en fait, tous les dispositifs d’organisation ou de gestion masquaient la complexité des situations car il avait oublié quelque chose : le facteur humain !

En effet, le facteur humain ne peut pas être réduit à des normes, des règles et des certifications. En réalité, il est toujours en perpétuel mouvement, fluctuant, changeant dans des cercles en eux-mêmes au gré des paradigmes de l’engagement professionnel, de la valorisation de soi, de l’efficacité, du prestige, etc. qui sont interprétés différemment. Mais quand le feuilletage organisationnel fut révélé, l’illusion gestionnaire est tombée car elle ne pouvait plus dissimuler !

En conclusion

En conclusion

La solution a tout simplement consisté à retirer du service administratif le travail de campagnes publicitaires pour les intégrer à la force de vente. Une cohérence s’est alors naturellement instaurée puisque, dès lors, les envois de publicités incluaient et promotionnaient la visite du commercial. En conséquence, le prospect attendait le passage du commercial.

Facile, me direz-vous, puisque vous y aviez déjà pensé, n’est-ce pas ?

Avez-vous oublié l’introduction : « s’il vous plaît, retrouvez les gens de mon entreprise ! » ? Eh bien, voyez-vous, sans cette compréhension du feuilletage organisationnel grâce à l’exemple de l’incendie de Mann Gulch, ce n’était pas gagné au départ pour sauver cet entreprise, tellement les conflits étaient prégnants et l’hémorragie abondante !

L'auteur
Pour en savoir +
Changement ISRI - Incendie Montana« Montana, Mann Gulch (États-Unis), 5 août 1949 : une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt qui a pris en bordure d’un ravin. Le commandant du peloton, convaincu qu’il s’agit d’une mission facile, s’isole et invite le garde à pied qui avait signalé l’incendie à partager son pique-nique. Il envoie ses subordonnés se répandre autour du ravin sans ordre précis. Peu après, le vent, jusque-là calme, se lève. La route et la rivière, considérées par chacun comme des obstacles au feu, deviennent inefficaces. Cependant, dans la conscience des acteurs, le caractère maîtrisable de l’incendie est fermement installé. Se rendant compte que l’incendie se répand autour du peloton qu’il a fait se placer en éventail au-dessus du ravin en feu, le commandant change de tactique. Il allume un contre-feu, qui permet de dégager une zone où l’incendie ne pourra pas progresser. Il ordonne à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant, en direction du ravin. Le sous-commandant, voyant ses hommes qui escaladent la montagne bordant le ravin, leur crie de se débarrasser de leurs instruments de lutte contre l’incendie. Ainsi allégés, ils pourraient s’éloigner au plus vite vers les sommets des collines encore indemnes. Ayant reçu dans leu formation la consigne de faire corps avec leurs outils, cet ordre , non préparé, est proprement inaudible. il contrevient à tous les apprentissages. Les pompiers interprètent cet ordre comme un moment de panique du sous-commandant. Ils continuent à escalader la colline, lourdement chargés et, vite rattrapés par les flammes, dix d’entre eux périssent. »(3)Valérie Boussard, Delphine Mercier et Pierre Tripier, L’aveuglement organisationnel, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, p.40
Changement ISRI - Frédéric de Coninckprofesseur de sociologie à l’École nationale des Ponts et Chaussées, Ingénieur Général Habilité à diriger les recherches depuis 1994 (en sociologie) Directeur de l’école doctorale ville et environnement de l’Université Paris Est (ED n° 448).
je-connais-ma-situation-mais-comment-agir
Frédéric de Coninck
Editions L’Harmattan
Collection : ‘Savoir, Savoir agir et Agir’
15 juil. 2009 – 125 pages

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l-aveuglement-organisationnelLe 5 août 1949, une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt dans le Montana. Deux heures plus tard, dix d’entre eux sont morts. Ce qui s’est exactement passé ce jour-là à Mann Gulch a été obscurci par des années de chagrin et de controverse. Aujourd’hui un conteur magnifique confère enfin à l’incendie de Mann Gulch le statut de tragédie qui lui est dû. Norman Maclean se rendit pour la première fois sur les lieux du drame alors que le feu brûlait encore, et dès lors il sut qu’il ferait un jour partie de cette histoire. Il passa les quatorze dernières années de sa vie à essayer de comprendre. En dehors de son travail d’universitaire, Norman Maclean n’a écrit qu’un autre livre, un classique : La Rivière du sixième jour » adapté au cinéma par Robert Redford sous le titre « Et au milieu coule une rivière »
Changement ISRI - Karl WeickKarl Emmanuel Weick (né le 31 octobre 1936 à Varsovie, Indiana) est un universitaire américain, professeur de psychologie et professeur en sciences de l’organisation à la Ross School of Business de l’Université du Michigan. Il est considéré comme l’un des théoriciens les plus renommés mondialement de la théorie des organisations. L’objet de ses recherches porte sur l’élaboration du sens au sein des organisations. Son approche de l’organisation est processuelle, l’organisation se construisant, pour Weick, dans l’interaction. Cette perspective interactionniste se traduit par un glissement de définition de l’organisation (organization) vers le processus organisant (organizing). La majorité de ses études porte sur l’analyse de petites entités mais intègre de multiples dimensions à travers les concepts de sensemaking, d’enactment, d’identité, de structuration, de couplage, de lien entre la pensée et l’action.
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Interprétations de la situation par les pompiers
  • Rétrospectivement, les interprétations étaient défectueuses. D’avion, le copilote, un vieux de la vielle avec beaucoup d’expérience, avait affirmé que ce serait un travail facile : l’équipe devait venir à bout de l’incendie en quatre heures. Mais il était cinq heures du soir et le mois d’août 1949 avait été un des plus chauds depuis longtemps. Peu de temps après l’atterrissage des pompiers, le vent, jusque-là calme, se lève et les obstacles au développement du feu (une route, une rivière) ne sont plus efficaces à cause de la force du vent. On voit bien comment l’interprétation par quelqu’un qui a l’habitude, mais qui le fait trop tôt ou est trop loin, peut-être erroné. Mais, dans la conscience des acteurs, ce cadrage de la réalité était fermement installé.
  • le chef de peloton et le garde forestier, qui avait signalé l’incendie et attendait les pompiers sur place, déjeunent pendant quarante minutes alors que le reste du peloton se répand autour du ravin sans ordre précis. Les hommes en conclurent que le feu était peu dangereux.
  • Alors que le feu dans le ravin semblait s’intensifier, un des seuls membres expérimentés du peloton prenait des photographies du site, renforçant l’impression du caractère maîtrisable de l’incendie.

Ainsi, par des moyens directs ou contournés, la définition de la situation, son cadrage ou son interprétation, fut inadéquate ou erronée. les ordres donnés par les responsables n’allaient pas arranger les choses, car, d’une certaine façon, ils contrevenaient, sans aucune explication ne soit fournie, aux valeurs et aux logiques de leurs hommes.

Faire agir et agir soi-même

Le cadrage défectueux des pompiers et de la situation avait conduit, dans un premier temps, le responsable du peloton de pompiers, Dodge, à vouloir entourer l’incendie et l’attaquer de façon dispersée et convergente sur le ravin, donc à placer ses hommes en éventail au dessus du ravin en feu et avancer vers celui-ci. Cependant, lorsqu’il vit que l’incendie se répandait au-dessus de son peloton, il prit peur et se dit qu’il fallait créer une voie de dégagement. Or, celle-ci se fait grâce à un contre feu : un feu circonscrit qui, une fois éteint, permet de dégager. Lorsqu’il se rendit compte de son erreur tactique, Dodge, le contremaître avança vers le ravin en mettant le feu à ce qui devait être la voie de dégagement. Il ordonna à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant dans la voie de dégagement ainsi constituée. Mais cette voie de dégagement les rapprochait du ravin en feu, les pompiers, plutôt que d’obéir à un ordre qui leur paraissait être contradictoire, continuèrent jusqu’en haut de la colline, chargés de leur matériel lourd. Le feu les rattrapa…

Cf. paragraphe plus haut : « …tous les acteurs partagent la même définition de la mission et se sont mis en place selon une stratégie et des comportements appropriés ».

l-aveuglement-organisationnelL’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus
de Valérie Boussard
Chaire de Développement des systèmes d’organisation du CNAM

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Lire le texte intégral du chapitre VII du livre : Paradigmes et matrices… ou l’analyse du feuilletage des situations
Lire, aussi, la fiche de lecture du livre ici (.doc)

Prestation - Supervision ISRINous avons souvent relevé dans nos accompagnements ISRI que ce que semble voir le salarié de son organisation est une réponse à ses besoins d’appartenance à un groupe (le service, le bureau, l’équipe, l’agence…), c’est-à-dire à des micro-groupes(4)Michel Maffesoli parle de « tribus » : « le tribalisme rappelle, empiriquement, l’importance du sentiment d’appartenance, à un lieu, à un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. ». Maffesoli, Michel, Le temps des Tribus, La table ronde, 2000, p.XII.

Paul-Henri Chombart de Lauwe, quant à lui, parle d’unité de vie sociale : « l’unité de vie sociale est une unité de vie quotidienne, une unité d’usage, une unité de relation […] Elle a une existence. » Chombart de Lauwe, Paul-Henri., Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, p.128, voire à l’organisation toute entière aussi ou seulement.

A plusieurs reprises, au moment des entretiens que nous avons eu l’occasion d’effectuer dans les entreprises, les salariés ont exprimé cette appartenance. Dans certains cas, c’est l’étiquette du métier exercé qui autorise un sentiment d’appartenance.

A partir de là, nous pouvons voir cette appartenance micro-groupale (que d’autres appelleraient tribale(5)Michel Maffesoli a proposé la métaphore de la « tribu » pour prendre acte de la métamorphose du lien social (Maffesoli, M., Le temps…, op. cit. p.III) ou unité de vie sociale) comme un « idéal communautaire »(6)Maffesoli, M., Le temps…, ib. p.XII., une reconnaissance à satisfaire.

Cette « organisation communautaire idéale » permet, dès lors, une double communication : intra-groupes (de salarié à salarié) et inter-groupes (d’un service à un autre service ou d’une équipe à une autre équipe, par exemple).

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierL’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.

Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire

Changement personnel ISRI - Photo ValeursLire ou relire l’article additionnel ISRI dans ce même dossier sur le changement :

Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence

Le lecteur comprendra aisément que nous ne rapportons pas ici l’ensemble des questions que notre équipe s’est posée, ni des démarches que nous avons effectuées, ni du savoir-faire déployé au cours de la mission. Ce serait fastidieux et sans intérêt dans cet article.
Changement personnel ISRI - Photo Echiquier
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire

Michel de Certeau veut parler de tactiques et de stratégies dans la première partie de « L’invention du quotidien »(7)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990. Dans ce sens, il entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »

Comme les pompiers de Mann Gulch qui avaient foi en leur formation !
Valérie BOUSSARD est sociologue, maître de conférences à l’université de Versaille-Saint-Quentin-en-Yvelines et membre du laboratoire Printemps-CNRS. Delphine MERCIER est chargée de recherche au CNRS, membre du Lhest. Pierre TRIPIER est sociologue, ancien professeur à l’université Versaille-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ils ont publié ensemble « L’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus », CNRS, 2004.
Changement personnel ISRI - Photo Besoins-aspirations PMSur ce point, le lecteur peut (re)lire le deuxième chapitre de la deuxième partie intitulé :

Besoins et aspirations : jeux, tactiques et stratégies

Notes de l`article   [ + ]