‘Petits trucs’ pour décoder et réagir face aux manipulations commerciales
Avez-vous déjà reçu un appel, en soirée, en provenance d’un de ces “Call Center” dont personne ne sait réellement où ils se trouvent dans le monde, et vous entendre proposer de passer avec Madame (ou Monsieur), un dimanche, chercher un cadeau qui n’attend que vous, dans un magasin de meubles ?
Avez-vous déjà été contacté par une personne qui s’exprime dans un anglais correct dont l’accent fait penser à l’Extrême Orient, qui vous propose de vérifier vos coordonnées puis, vous parle de produits financiers ?
Avez-vous déjà répondu à ce coup de sonnette, à la maison, et vous être retrouvé face à un démarcheur qui vous propose toutes sortes de produits, de la carte de soutien pour une association caritative à l’aspirateur en passant par des encyclopédies, à l’instar d’une célèbre scène dans le film de Christian Merret-Palmair (sorti en 2001, en France) ?
Combien de fois avez-vous reçu des feuillets publicitaires de grandes surfaces vous annonçant qu’il reste trois jours pour bénéficier d’une promotion ?
Nous avons tous vécu ces situations et nous les vivrons encore.
Les manipulations commerciales s’articulent autour de trois axes :
- La publicité sous toutes ses formes : dans la boîte aux lettres, à la télévision, sur des panneaux publics d’affichage…
- Le marketing sous toutes ses formes : goûter un produit dans une grande surface, répondre à un sondage d’opinion dans la rue…
- La vente sous toutes ses formes : le démarcheur au domicile privé, le vendeur dans la rue ou dans un magasin, votre voisin qui souhaite votre aide pour monter un meuble, le représentant d’une association qui veut que vous donniez de votre temps pour une cause…
S’il est exact que chacune de ces situations est particulière, il existe un élément commun entre elles : vous n’auriez pas spontanément agi si une personne n’avait pas entamé une démarche, directe ou indirecte, consciente ou inconsciente, chez vous.
Les sont constituées d’un ensemble d’outils, de techniques, de façon de procéder qui visent à améliorer la situation de celui ou celle qui manipule, sans se soucier de ce qui arrivera à la cible (voire, à la victime). Il n’y a donc pas réellement d’intention de nuire, uniquement celle de profiter de la situation et donc indirectement des “personnes manipulées”.
Il s’agit donc d’une question d’intention. C’est elle qui nous permet de distinguer la ‘manipulation’ de ‘l’influence’. Par exemple :
- La ‘manipulation’, est l’utilisation d’un vaste ensemble d’outils, de techniques et de façons de procéder qui visent à faire faire à l’autre ce que je souhaite qu’il/qu’elle fasse, sans qu’il/elle en soit conscient(e) et sans sa permission.
- ‘L’influence’, est l’utilisation d’un vaste ensemble d’outils, de techniques et de façons de procéder qui visent à faire faire à l’autre ce que je souhaite qu’il/qu’elle fasse, en pleine conscience et avec sa permission.
Les ‘manipulations bienveillantes’, qui ont pour objectif, dans l’esprit de la personne qui manipule, d’améliorer la situation de l’autre, relèvent d’une certaine façon davantage de l’influence que de la manipulation même si l’accord de la ‘cible’ n’est pas demandé de façon explicite, et même si la ‘cible’ n’en a pas (toujours) conscience. L’exemple le plus parlant est celui d’un parent qui use de subterfuges pour que son enfant ouvre la bouche, afin qu’il puisse introduire (enfin) une cuillère de potage aux légumes !
Les ‘manipulations égocentriques’ visent notre argent, nos biens, notre temps, notre énergie, notre décision, notre choix, notre action, l’expression de nos émotions… Elles sont potentiellement redoutables !
Les outils reposent sur les six principes universels d’influence :
- réciprocité,
- engagement et conformité,
- preuve sociale,
- autorité,
- sympathie et
- rareté.
Ces principes ont été merveilleusement illustrés par Robert Cialdini dans son “best seller” .
Que ce soit « Le pied dans la porte » (faire une petite demande facilement acceptable pour obtenir une adhésion puis en faire une plus importante et profiter du principe d’engagement), « La porte dans le Nez » (faire d’abord une demande inacceptable puis en faire une plus modeste donnant le sentiment d’avoir fait un concession, ce qui facilite l’acceptation de cette dernière), « Appâter et re-diriger » (attirer le chaland avec une offre qui se révèle être indisponible et la remplacer par une autre moins avantageuse), « Peur et soulagement » (organiser une suite d’émotions pour faire tomber les barrières à une prochaine demande) et une dizaine d’autres techniques, très précisément expliquées dans le livre de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois , tous ces outils travaillent sur l’inconscience des ‘cibles’ et en l’absence de leur accord.
Il m’est arrivé la mésaventure suivante, au volant de ma voiture, dans un quartier calme de Bruxelles, en 2005, l’année où j’ai démarré mon activité d’indépendant.
Alors que je descendais une rue en pente à faible vitesse, un homme a traversé à une cinquantaine de mètres de mon véhicule et s’est immobilisé à mi-chemin, puis s’est tourné dans ma direction et m’a fixé dans les yeux.
Surpris, j’ai ralentis sans m’arrêter toutefois, convaincu qu’il poursuivrait sa route et se retrouverait sur l’autre trottoir avant que je ne l’ai rejoint. Arrivé à quelques mètres de lui, j’ai dû freiner assez fortement pour ne pas le renverser parce qu’il ne bougeait toujours pas, ce qui a provoqué une certaine peur en moi.
Il s’est aussitôt approché du côté conducteur et m’a demandé de baisser la vitre, ce que j’ai fait, assez mécaniquement. « Vous vouliez m’écraser ? » a-t-il demandé.
Devant mon air béat et en l’absence de réponse de ma part, il n’a pas insisté et m’a demandé si j’accepterais de donner de l’argent pour les enfants. Je me suis exécuté comme un automate, les pensées centrées sur le soulagement que j’avais ressenti en évitant l’accident.
Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte qu’il m’avait manipulé en utilisant l’outil “Peur et soulagement” : je m’étais allégé de quelques euros.
Face à ces individus qui ne s’embarrassent pas de scrupules pour obtenir de nous ce qu’ils désirent, que pouvons-nous faire sinon accepter l’idée de tomber de temps en temps dans leurs filets ?
Il n’existe pas de fatalité absolue. S’il est évident que nous ne pourrons très probablement pas tout éviter, il existe cependant des outils, issus du développement de l’esprit critique(1)Par esprit critique, il faut entendre cette capacité que nous avons à discerner l’information pertinente et fiable, encapsulée dans un océan de données qui nous parviennent à tout moment, et la capacité d’analyser les situations, les idées, les croyances, à la lumière d’outils et de méthodes qui permettent d’en établir la validité. et de l’assertivité(2)Par assertivité, j’entends notre capacité à communiquer de manière univoque au sujet de nos besoins, nos désirs, nos droits, nos prérogatives et aussi nos limites dans le souci constant de préserver la relation à l’autre dans le présent et le futur., qui nous permettront de réagir avec plus de discernement et de manière constructive.
Le but n’est pas de prouver que l’autre a tort, de pratiquer la Loi du Talion(3)« Ton œil sera sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » (Lévitique, 24,17-22) ou encore de lui faire perdre la face. L’objectif est d’augmenter son niveau de vigilance sans tomber dans la paranoïa, de diagnostiquer toute situation “anormale” et de comprendre comment réagir en quatre étapes :
Première étape : s’informer
Il existe de nombreux ouvrages sur le sujet et différentes approches, points de vue, éclairages. Sachons diversifier nos lectures pour élargir notre horizon sans tomber dans l’excès. Je suggèrerais les lectures supplémentaires suivantes : “Je sais que vous mentez” de Paul Eckman, éditions J’ai lu 2011 ; “Psychologie du consommateur” de Nicolas Guéguen, éditions Dunod, 2011 ; “Ne plus se laisser manipuler” de Bernard Raquin, éditions Jouvence 2003.
Deuxième étape : observer pour reconnaître et diagnostiquer
Il ne s’agit plus de se laisser vivre sans s’interroger mais plutôt de prendre conscience des choses qui nous arrivent. Se poser des questions deviendra essentiel, dès que j’aurai à sortir mon portefeuille, donner de mon temps, prendre des décisions, aider les autres.
Parmi les questions auxquelles nous devrons répondre figureront :
– En ai-je réellement besoin ?
– En ai-je besoin, maintenant ?
– En ai-je vraiment envie ?
– Qu’est-ce que j’y gagne, clairement ?
– Qu’est-ce que l’autre y gagne ?
– Pourquoi dire oui tout de suite ?
– Que se passerait-il si je disais non ?
Troisième étape : demander des précisions sur les intentions de la personne
Une personne qui manipule s’exprimera probablement de manière peu spécifique. Elle usera de généralités, restera plutôt vague, floue. A première vue, elle paraitra inoffensive mais elle se rapprochera de son objectif petit à petit, dans le respect d’un script structuré ou pas. Dans le cadre de ce scénario, elle s’arrangera pour poser des questions auxquelles le mot “oui” sera la réponse la plus plausible. Elle tentera de le faire prononcer autant de fois que possible pour activer le principe d’engagement et de conformité(4)Robert Cialdini (op. cit. ci-dessus), ‘Manipulation et influence’, chap.3 ‘engagement et cohérence’, Ed. Pocket Evolution, avril 2014.
Dès qu’une telle situation vous touche, efforcez-vous de sortir la personne de son script, c’est à dire, ne pas répondre, ou ne pas répondre ce qui semblerait le plus logique. Dites :
– Avant d’aller plus loin, qu’attendez-vous de moi ?
– Je vous arrête, que voulez-vous obtenir de ma part ?
C’est vous qui surprendrez la personne. Insistez pour connaître l’intention de la personne jusqu’à ce qu’elle vous le dise : « euh… je vends des cartes de soutien à …«
Quatrième étape : décider s’il faut dire « non » et le dire
Si durant l’étape deux, observer pour reconnaître et diagnostiquer, vous avez répondu aux différentes questions pour vous-même, il devient simple de déduire ce que devrait être votre comportement, donc votre réponse. Dites « non », ce qui sera le synonyme de « non, je refuse d’être votre complice ».
Dire « non » est la chose à la fois la plus simple et la plus compliquée qui soit. S’il existe des outils assertifs qui permettent de dire « non » de façon constructive et de faire la distinction entre ‘dire non à la personne’ et ‘dire non à la demande de la personne’, il est indispensable, dans le cas d’une manipulation commerciale, de ne pas entrouvrir la porte qui permettrait à une personne manipulatrice de s’y glisser.
Car, si le monde dans lequel nous vivons est rempli de “démarcheurs” qui fonctionnent sur la base d’un script, ne négligeons pas les personnes qui manipulent de façon naturelle (professionnelle ?), celles qui ont développé depuis leur plus tendre enfance cette capacité à exploiter les failles des autres, en commençant par leurs parents, leurs frères et sœurs, puis leurs camarades de classe, pour finir par généraliser la pratique à tout le monde (cf. Manipulation : la repérer, s’en protéger, Ariane Bilheran, Ed. Armand Colin, 2013).
Si je n’y gagne rien, si je n’en ai pas besoin ou/et pas envie, je dis « non » à la demande de l’autre ! Si ma décision est guidée, je dis « non » à la demande de l’autre !
Exprimé de la sorte, cela pourrait donner l’impression d’être simple. Il n’en est rien. Comment savoir si ma décision est libre ou guidée ? N’oublions pas les nombreux biais cognitifs auxquels nous sommes continuellement confrontés et qui provoquent des actions, des choix et des décisions moins ou pas rationnels. Voici quelques pistes pour nous aider à y voir plus clair en nous-mêmes :
– Existe-t-il une autorité qui m’influence ? Hiérarchique, morale, religieuse, de compétence…
– Existe-t-il un groupe qui m’influence ? Famille, société, club, communauté…
– Existe-t-il un sentiment qui m’influence ? Dette, rater quelque chose, bien ou mal faire…
– Existe-t-il une émotion qui m’influence ? Peur, colère, sympathie, culpabilité…
– Existe-t-il un précédent qui m’influence ? Acte, comportement, décision…
En conclusion, il est fort probable que nous serons soumis à des manipulations de la part d’étrangers, mais aussi de nos proches, de nos collègues, patrons, collaborateurs, amis… Sachons reconnaître ce qui nous est bénéfique et dire fermement « non » aux autres demandes.
Pour en savoir +
Jacques Regard “Manipulation : ne vous laissez plus faire !” éditions Eyrolles, 2010.
Déjà vendu en France en 350 000 exemplaires et traduit dans une douzaine de langue. Editions Presses universitaires de Grenoble 2014.
Notes de l`article [ + ]
J’ai lu le « Petit traité de Manipulation à l’usage des honnêtes gens » qui est un excellent ouvrage aussi bien théorique que pratique.
A lire absolument pour stopper toute manipulation de tout type.
Une fois que vous aurez les différentes « techniques » vous allez vous rendre compte qu’on vous les sert en pub , en politique etc …
Vous allez rire et les déjouer.
C’est simple et ludique avec un peu de pratique !
Philippe MARCEAU
Parfaitement d’accord Philippe. Ce livre « Petit traité de Manipulation à l’usage des honnêtes gens » est très connu des professionnels des pratiques sociales, notamment des psychosociologue (entre autres corps de métier comme les coaches, les publicitaires, etc.).
Néanmoins, les techniques présentées dans ce livre ne sont pas à 100% validées ; elles doivent être vues en tant qu’elles augmentent un tendance déjà existante que l’on peut mesurer en pourcentages.
Ainsi, pour un exemple, celui de la « technique du toucher », considérant que le contact tactile d’un serveur au restaurant permet d’augmenter le montant du pourboire, l’évaluation du serveur et celle du restaurant. En fait, oui, mais dans des proportions tout à fait réduites.
Ainsi, l’expérience de Hornik (1992) révèle que ces trois points augmentent selon des résultats reportées dans le tableau suivant (100 petites expériences en psychologie du consommateur, pour mieux comprendre comment on vous influence, Nicolas Guéguen, Ed° Dunod, p.206.) :
(en % par rapport au montant de la note)
(+4 = très bon)
(+4 = supérieur)
Constatons au passage, la maigre augmentation des résultats !
En revanche, il existe certaines techniques qui génèrent beaucoup plus de résultats. Par exemple, le redoutable « pied-dans-la-porte », consistant à vous faire répondre favorablement à une première demande simple (par exemple, quelle heure est-il ?), puis à vous proposer de répondre à une enquête, dont votre acceptation est favorisée par la première sollicitation (l’heure).
Certes, une personne sur deux ne se laisse pas avoir… mais un personne sur deux, si ! C’est tout du moins ce que révèle l’expérience de Freedman et Fraser en 1966 où, il s’était agit, par téléphone, de faire accepter à des ménagères, prises au hasard dans le bottin, d’accepter de répondre à un court questionnaire, puis, de leur proposer la venue d’un enquêteur chez eux.
Nous pourrions aussi regarder la célèbre « soumission à l’autorité » de Milgram comme une technique de manipulation… dont les résultats sont effrayants !
A bientôt Philippe.