Le changement :
Voici un exemple pour comprendre les malentendus
Des commerciaux qui ne vendent pas, des administratifs qui fustigent les techniques de vente en place, un patron décontenancé : de telles situations sont souvent attribuées à des individus défaillants ou fautifs. En réalité, les acteurs définissent personnellement les différentes situations vécues, ce qui produit malentendus et incompréhensions. Cette petite histoire est révélatrice de ces situations lorsqu’il faut mener un changement. |
Pour en savoir +
« Montana, Mann Gulch (États-Unis), 5 août 1949 : une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt qui a pris en bordure d’un ravin. Le commandant du peloton, convaincu qu’il s’agit d’une mission facile, s’isole et invite le garde à pied qui avait signalé l’incendie à partager son pique-nique. Il envoie ses subordonnés se répandre autour du ravin sans ordre précis. Peu après, le vent, jusque-là calme, se lève. La route et la rivière, considérées par chacun comme des obstacles au feu, deviennent inefficaces. Cependant, dans la conscience des acteurs, le caractère maîtrisable de l’incendie est fermement installé. Se rendant compte que l’incendie se répand autour du peloton qu’il a fait se placer en éventail au-dessus du ravin en feu, le commandant change de tactique. Il allume un contre-feu, qui permet de dégager une zone où l’incendie ne pourra pas progresser. Il ordonne à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant, en direction du ravin. Le sous-commandant, voyant ses hommes qui escaladent la montagne bordant le ravin, leur crie de se débarrasser de leurs instruments de lutte contre l’incendie. Ainsi allégés, ils pourraient s’éloigner au plus vite vers les sommets des collines encore indemnes. Ayant reçu dans leu formation la consigne de faire corps avec leurs outils, cet ordre , non préparé, est proprement inaudible. il contrevient à tous les apprentissages. Les pompiers interprètent cet ordre comme un moment de panique du sous-commandant. Ils continuent à escalader la colline, lourdement chargés et, vite rattrapés par les flammes, dix d’entre eux périssent. »(3)Valérie Boussard, Delphine Mercier et Pierre Tripier, L’aveuglement organisationnel, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, p.40
professeur de sociologie à l’École nationale des Ponts et Chaussées, Ingénieur Général Habilité à diriger les recherches depuis 1994 (en sociologie) Directeur de l’école doctorale ville et environnement de l’Université Paris Est (ED n° 448).
Editions L’Harmattan

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Le 5 août 1949, une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt dans le Montana. Deux heures plus tard, dix d’entre eux sont morts. Ce qui s’est exactement passé ce jour-là à Mann Gulch a été obscurci par des années de chagrin et de controverse. Aujourd’hui un conteur magnifique confère enfin à l’incendie de Mann Gulch le statut de tragédie qui lui est dû. Norman Maclean se rendit pour la première fois sur les lieux du drame alors que le feu brûlait encore, et dès lors il sut qu’il ferait un jour partie de cette histoire. Il passa les quatorze dernières années de sa vie à essayer de comprendre. En dehors de son travail d’universitaire, Norman Maclean n’a écrit qu’un autre livre, un classique : La Rivière du sixième jour » adapté au cinéma par Robert Redford sous le titre « Et au milieu coule une rivière »
Karl Emmanuel Weick (né le 31 octobre 1936 à Varsovie, Indiana) est un universitaire américain, professeur de psychologie et professeur en sciences de l’organisation à la Ross School of Business de l’Université du Michigan. Il est considéré comme l’un des théoriciens les plus renommés mondialement de la théorie des organisations. L’objet de ses recherches porte sur l’élaboration du sens au sein des organisations. Son approche de l’organisation est processuelle, l’organisation se construisant, pour Weick, dans l’interaction. Cette perspective interactionniste se traduit par un glissement de définition de l’organisation (organization) vers le processus organisant (organizing). La majorité de ses études porte sur l’analyse de petites entités mais intègre de multiples dimensions à travers les concepts de sensemaking, d’enactment, d’identité, de structuration, de couplage, de lien entre la pensée et l’action.
- Rétrospectivement, les interprétations étaient défectueuses. D’avion, le copilote, un vieux de la vielle avec beaucoup d’expérience, avait affirmé que ce serait un travail facile : l’équipe devait venir à bout de l’incendie en quatre heures. Mais il était cinq heures du soir et le mois d’août 1949 avait été un des plus chauds depuis longtemps. Peu de temps après l’atterrissage des pompiers, le vent, jusque-là calme, se lève et les obstacles au développement du feu (une route, une rivière) ne sont plus efficaces à cause de la force du vent. On voit bien comment l’interprétation par quelqu’un qui a l’habitude, mais qui le fait trop tôt ou est trop loin, peut-être erroné. Mais, dans la conscience des acteurs, ce cadrage de la réalité était fermement installé.
- le chef de peloton et le garde forestier, qui avait signalé l’incendie et attendait les pompiers sur place, déjeunent pendant quarante minutes alors que le reste du peloton se répand autour du ravin sans ordre précis. Les hommes en conclurent que le feu était peu dangereux.
- Alors que le feu dans le ravin semblait s’intensifier, un des seuls membres expérimentés du peloton prenait des photographies du site, renforçant l’impression du caractère maîtrisable de l’incendie.
Ainsi, par des moyens directs ou contournés, la définition de la situation, son cadrage ou son interprétation, fut inadéquate ou erronée. les ordres donnés par les responsables n’allaient pas arranger les choses, car, d’une certaine façon, ils contrevenaient, sans aucune explication ne soit fournie, aux valeurs et aux logiques de leurs hommes.
Faire agir et agir soi-même
Le cadrage défectueux des pompiers et de la situation avait conduit, dans un premier temps, le responsable du peloton de pompiers, Dodge, à vouloir entourer l’incendie et l’attaquer de façon dispersée et convergente sur le ravin, donc à placer ses hommes en éventail au dessus du ravin en feu et avancer vers celui-ci. Cependant, lorsqu’il vit que l’incendie se répandait au-dessus de son peloton, il prit peur et se dit qu’il fallait créer une voie de dégagement. Or, celle-ci se fait grâce à un contre feu : un feu circonscrit qui, une fois éteint, permet de dégager. Lorsqu’il se rendit compte de son erreur tactique, Dodge, le contremaître avança vers le ravin en mettant le feu à ce qui devait être la voie de dégagement. Il ordonna à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant dans la voie de dégagement ainsi constituée. Mais cette voie de dégagement les rapprochait du ravin en feu, les pompiers, plutôt que d’obéir à un ordre qui leur paraissait être contradictoire, continuèrent jusqu’en haut de la colline, chargés de leur matériel lourd. Le feu les rattrapa…
L’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus
de Valérie Boussard
Chaire de Développement des systèmes d’organisation du CNAM
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Lire le texte intégral du chapitre VII du livre : Paradigmes et matrices… ou l’analyse du feuilletage des situations
Lire, aussi, la fiche de lecture du livre ici (.doc)
Nous avons souvent relevé dans nos accompagnements ISRI que ce que semble voir le salarié de son organisation est une réponse à ses besoins d’appartenance à un groupe (le service, le bureau, l’équipe, l’agence…), c’est-à-dire à des micro-groupes(4)Michel Maffesoli parle de « tribus » : « le tribalisme rappelle, empiriquement, l’importance du sentiment d’appartenance, à un lieu, à un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. ». Maffesoli, Michel, Le temps des Tribus, La table ronde, 2000, p.XII.
Paul-Henri Chombart de Lauwe, quant à lui, parle d’unité de vie sociale : « l’unité de vie sociale est une unité de vie quotidienne, une unité d’usage, une unité de relation […] Elle a une existence. » Chombart de Lauwe, Paul-Henri., Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, p.128
, voire à l’organisation toute entière aussi ou seulement.A plusieurs reprises, au moment des entretiens que nous avons eu l’occasion d’effectuer dans les entreprises, les salariés ont exprimé cette appartenance. Dans certains cas, c’est l’étiquette du métier exercé qui autorise un sentiment d’appartenance.
A partir de là, nous pouvons voir cette appartenance micro-groupale (que d’autres appelleraient tribale(5)Michel Maffesoli a proposé la métaphore de la « tribu » pour prendre acte de la métamorphose du lien social (Maffesoli, M., Le temps…, op. cit. p.III) ou unité de vie sociale) comme un « idéal communautaire »(6)Maffesoli, M., Le temps…, ib. p.XII., une reconnaissance à satisfaire.
Cette « organisation communautaire idéale » permet, dès lors, une double communication : intra-groupes (de salarié à salarié) et inter-groupes (d’un service à un autre service ou d’une équipe à une autre équipe, par exemple).
L’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire
Lire ou relire l’article additionnel ISRI dans ce même dossier sur le changement :
Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence

Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire
Michel de Certeau veut parler de tactiques et de stratégies dans la première partie de « L’invention du quotidien »(7)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990. Dans ce sens, il entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »
Notes de l`article [ + ]

Des commerciaux qui ne vendent pas, des administratifs qui fustigent les techniques de vente en place, un patron décontenancé : de telles situations sont souvent attribuées à des individus défaillants ou fautifs. En réalité, les acteurs définissent personnellement les différentes situations vécues, ce qui produit malentendus et incompréhensions. Cette petite histoire est révélatrice de ces situations lorsqu’il faut mener un changement.
Sans entrer dans le magistral décorticage de K. Weick, nous dirons que ses conclusions pointent la perte de sens de l’action collective (autrement dit, la désobéissance) imputables aux 
Ainsi, la direction (notre client et ses trois chefs de service) pensait que le dysfonctionnement provenait des commerciaux qui, même s’ils ont prêté serment du respect du secret professionnel, ne respectent pas pour autant le travail du service administratif et dénigrent les campagnes publicitaires faites par publipostage et e-mailing.
De la même manière, notre client avait pensé un système de communication pour offrir un langage commun technique et sécuritaire dont les différents acteurs des trois services administratif, conception/maintenance et commercial pourraient utiliser pour se comprendre. Il fournissait ainsi l’illusion de piloter son entreprise en cohérence alors, qu’en fait, tous les dispositifs d’organisation ou de gestion masquaient la complexité des situations car il avait oublié quelque chose : le facteur humain !